jeudi 26 juin 2014

Pois verts : conte pour enfants






 Pois-Verts
Il était une fois un homme appelé Pois-Verts qui était tout à la fois le serviteur et l'homme de confiance du curé de son village. Un jour, il se mit à jouer des tours à son maître. Le curé s'en accommoda pendant quelques années mais, à la fin, excédé, il dit à son engagé :
 

- Pois-Verts, ramasse tes guenilles et va-t'en ! Je n'ai plus besoin de toi.
 

- Je ne demande pas mieux que de m'en aller, répond Pois-Verts, j'en ai assez de vous servir. Et sur ce, il s'en va et s'achète une petite propriété, près de celle de son ancien maître.
 

Pois-Verts était très intelligent. Un bon matin, il s'invente un plan. Il prend deux gros morceaux de fer qu'il fait bien rougir au feu. Puis, il dépose son chaudron près de lui et se fabrique un petit fouet ; ensuite, il envoie chercher le curé, son voisin.
Quand le curé est sur le point d'arriver, Pois-Verts prend les morceaux de fer rouge et les jette dans sa soupe. Il met son chaudron entre ses jambes et, avec son petit fouet, il claque sur le chaudron disant :
 

- Bouille, ma soupe !
 

Le curé entre, aperçoit son ancien serviteur fouettant son chaudron et la soupe bouillant.
 

- Pois-Verts, quel secret as-tu pour ainsi faire chauffer ton repas ?
 

- Ce secret est dans mon fouet, répond Pois-Verts qui fouette tranquillement son chaudron, tout en parlant, tandis que la soupe bout de plus belle.
Le curé, enchanté de voir bouillir la soupe et d'apprendre le secret du fouet dit :
 

- À moi qui ai des servantes pas trop vives, ce fouet serait bien utile. Toi qui es tout seul, Pois-Verts, tu n'en as pas besoin.
 

- On a toujours besoin d'un bon article, monsieur le curé. Mais pour vous rendre service je suis prêt à vous le vendre. Mon fouet vaut cent piastres.
 

- Il n'est pas cher, reprend le curé, voilà cent piastres. Donne-moi le fouet.
 

Pois-Verts prend l'argent et remet le fouet.
 

Une fois l'entente conclue, le curé ne tient pas un long discours, mais il s'en retourne au presbytère et dit à ses servantes :
 

- Je n'ai plus besoin que d'une servante. Les deux autres, je les mets à la porte.
Les servantes deviennent pensives. À celle qu'il garde, le curé dit :
 

- Va chercher la théière, mets-y le thé dans de l'eau froide.
« Qu'est-ce que le curé a envie de faire ? » se demande la servante en obéissant à son maître.
 

- La théière est-elle prête ? demande le curé.
 

- Oui, monsieur le curé, tout est bien prêt.
Monsieur le curé va chercher le fouet ; il prend la théière, la met sur la table et commence à la fouetter en disant:
 

- Bouille, théière !
Rien ne bout.
Le curé claque le fouet à nouveau. Rien ! Découragé, il dit :
 

- Je ne m'y prends pas bien. Pois-Verts était assis à terre, le chaudron entre ses jambes. Je vais faire comme lui.
Il s'assoit à terre, il met la théière entre ses jambes et la fouette de son mieux. Après avoir fouetté tranquillement, il se met à la fouetter à grands coups. Il n'est pas plus avancé. La servante demande :
 

- Monsieur le curé, où avez-vous eu ce fouet-là ?
 

- Je viens de l'acheter à Pois-Verts.
 

- C'est encore un tour qu'il vous a joué, comme au temps où il restait ici.
Furieux, le curé jette le fouet au feu en disant :
 

- Demain, Pois-Verts aura de mes nouvelles !
 

Le lendemain, Pois-Verts fait venir sa vieille mère, lui demandant de passer la journée chez lui. Ayant rempli une vessie de sang il l'accroche au cou de sa mère et commence à se promener dans sa maison, en regardant d'une fenêtre à l'autre. Il s'attendait à voir bientôt le curé arriver en fureur. Tout à coup, il l'aperçoit approcher de la maison. Faisant un grand vacarme, Pois-Verts se met à renverser la table et les chaises et à tout casser. Comme le curé entre, il saisit sa vieille mère et lève son canif en criant :
 

- Vieille chippie ! il y a assez longtemps que le monde vous connaît. C'est fini !
Pour le calmer, le curé dit :
 

- Pois-Verts, que fais-tu ? Que fais-tu ?
 

- C'est mon affaire, fait Pois-Verts, je ne veux pas voir de curieux chez moi.
Et de son couteau il perce la vessie pleine de sang qui pend au cou de sa mère. Le sang coule et la vieille dame tombe comme si elle était mourante. Ceci dégoûte le curé qui commence à lancer des injures à Pois-Verts et à le menacer.
 

- Cette fois ton temps est arrivé ! je vais te mettre entre les mains de la justice et ta tête tombera sur l'échafaud !
 

- Je viens de vous dire que je ne veux pas voir de curieux chez moi, répond Pois-Verts en prenant son sifflet. Ma mère est morte, mais elle va revenir à la vie !
Et le voilà qui se met à siffler avec son instrument :
 

- Turlututu ! Reviendras-tu ?
La vieille dame commence à bouger.
 

- Turlututu, reviendras-tu ? répète-t-il.
Et Pois-Verts ajoute :
 

- La troisième fois, je ne manque jamais mon coup. 
Turlututu, reviendras-tu ? ou ne reviendras-tu pas ?
Il n'a pas sitôt prononcé « Turlututu » que la vieille dame est debout.
Étonné de voir ce sifflet si merveilleux, le curé demande :
 

- Pois-Verts, où as-tu pris ce sifflet ?
 

- Une vieille magicienne me l'a donné, avec ce sifflet, je peux faire tout ce que je veux, répond Pois-Verts.
 

- Ah ! voilà ce qu'il me faut pour mes paroissiens.
 

- Un bon article fait l'affaire de tout le monde.
 

- Veux-tu me le vendre ? demande le curé. Combien veux-tu pour ton sifflet, Pois-Verts ?
 

- Pour vous rendre service, je vais vous le vendre, monsieur le curé.
 

- Combien veux-tu ?
 

- Deux cents piastres, monsieur le curé.
 

- Il n'est pas cher, Pois-Verts, je le prends et je vais commencer par ma servante.
 

- Sachez bien vous en servir, monsieur le curé. Vous avez vu comment je m'y suis pris pour ma vieille mère.
 

- Sois sans crainte, dit le curé.
Le curé part et arrive au presbytère pas trop de bonne humeur. Il commence à brasser la table, le pupitre, la vaisselle.
 

- Monsieur le curé ! dit la servante, vous n'êtes pas à votre place dans mon armoire.
 

- Comment ça, je ne suis pas à ma place ? Ah ! je vais t'en faire une place !
Il prend le couteau à pain et tranche le cou de la servante. La servante est morte et le curé est fier d'essayer son sifflet. Il fait la même chose que Pois-Verts. Il siffle :
 

- Turlututu ! reviendras-tu ?
La servante ne bouge pas.
 

- Turlututu, reviendras-tu ? siffle-t-il à nouveau.
Rien.
« C'est curieux, pense le curé, la première fois que Pois-Verts a sifflé la vieille dame avait bougé ; et la deuxième fois elle s'était presque levée. Ici, c'est la deuxième fois et elle ne bouge pas. Pourtant j'ai fait comme Pois-Verts. »
Il essaie encore.
 

- Turlututu ! reviendras-tu ? Ou ne reviendras-tu pas ?
Mais la servante est morte et le reste. Le curé devient pensif. « Depuis longtemps, Pois-Verts me joue des tours. Cette fois-ci, c'est le dernier ! Je vais faire prononcer un jugement contre lui en justice et le faire disparaître. »
Le curé dénonce alors Pois-Verts et Pois-Verts est condamné à être mis dans un sac et jeté à la mer. Pois-Verts est satisfait. Le soir, les deux serviteurs du curé viennent le chercher, le mettent dans un sac et partent pour la mer.
 

- Non ! je ne veux pas y aller ! Non, je ne veux pas y aller ! crie Pois-Verts tout le long du chemin.
Passant devant une auberge, les serviteurs entrent boire un verre et laissent le sac dehors sur le perron.
 

- Je ne veux pas y aller ! Je ne veux pas y aller ! crie toujours Pois-Verts, pour se désennuyer.
Pendant que les serviteurs boivent, un pauvre passe et, curieux, écoute Pois-Verts crier dans le sac : « Je ne veux pas y aller ! »
Approchant du sac, le pauvre homme y touche et demande :
 

- Où ne veux-tu pas aller ?
 

- On m'emmène coucher avec la princesse ; mais jamais ils ne m'y feront consentir, dit Pois-Verts.
 

- Veux-tu me donner ta place ? demande le pauvre homme.
Pois-Verts accepte avec plaisir.
 

- Détache le sac et prends ma place.
Pois-Verts sort et le pauvre homme s'y fourre. À peine Pois-Verts est-il en fuite que les serviteurs arrivent, saisissent le sac et pendant qu'ils marchent le pauvre homme crie comme faisait Pois-Verts :
 

- Je ne veux pas y aller ! Je ne veux pas y aller !
 

- Veux, veux pas, répondent les serviteurs, c'est au large que tu vas aller.
Et tenant le sac à chaque bout, ils comptent un, deux, trois et vlan ! ils lâchent le sac qui tombe au large.
Le lendemain, le curé demande à ses serviteurs :
 

- L'avez-vous jeté au large ?
 

- Soyez tranquille monsieur le curé, répondent-ils, Pois-Verts a joué assez de tours ; il ne reviendra jamais.
« Enfin, je serai bien débarrassé ! » pense le curé en se promenant comme d'habitude sur le large perron de sa maison.
Plus tard, après le repas, il voit venir un troupeau de bêtes à cornes. Plus le troupeau approche, plus il voit que celui qui le mène ressemble à Pois-Verts. Appelant l'un de ses serviteurs le curé dit :
 

- Voilà un beau troupeau de bêtes à cornes. Mais regarde donc en arrière, ça ressemble à Pois-Verts.
 

- Ça ne se peut pas, répond l'autre, hier au soir nous l'avons jeté à l'eau.
 

- Regarde comme il faut, serviteur ; ça m'a l'air de Pois-Verts !
De fait, Pois-Verts, le bâton à la main, menait le troupeau et de temps en temps criait :
 

- Oust, oust !
Le curé se hissa sur le bout des pieds pour mieux voir et s'écria :
 

- C'est Pois-Verts !
 

- Bonsoir, monsieur le curé, bonsoir ! dit Pois-Verts en passant devant le presbytère.
 

- Comment, Pois-Verts, mais c'est bien toi ?
 

- Oui, monsieur le curé, c'est bien moi.
 

- Mais d'où viens-tu avec toutes ces bêtes à cornes ?
 

- Ah ! monsieur le curé, ne m'en parlez pas ! Si vos serviteurs m'avaient seulement jeté dix pieds plus loin, je vous ramenais les deux plus beaux chevaux noirs qu'on n'ait jamais vus dans la province. Mais ils m'ont jeté au milieu de ce troupeau de bêtes à cornes que j'ai ramené avec moi.
Le curé tombe encore dans le panneau et croit Pois-Verts.
 

- Si j'y allais moi-même, Pois-Verts ? Toi, qui connais la distance exacte... ?
 

- Je vous garantis, monsieur le curé, que je ne manquerais pas mon coup ! Si un de vos serviteurs m'aide ce soir, je vous jetterai en plein milieu des beaux chevaux.
 

- Accepté !
Pois-Verts mène son troupeau sur sa ferme. Quand il revient le soir, il aide le curé à entrer dans le sac et s'en va avec un serviteur le porter au bord de la mer.
 

- Jetons monsieur le curé au large, dit Pois-Verts.
Et monsieur le curé s'en va rejoindre le pauvre homme au fond de la mer où il est resté.
Avec tous les tours qu'il avait joués, Pois-Verts devint un gros commerçant. Le plus riche et le plus malin de toute la région et le pauvre curé paya très cher sa naïveté.

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