LE
OUISTITI
Il était une fois une princesse qui dans un accès
de colère ferma si violemment sa fenêtre qu’elle se brisa en mille
morceaux. L’onde de choc fut telle que les onze autres fenêtres volèrent
en éclats à leur tour. La haute tour aux douze fenêtres magiques
avait vécu.
La princesse resta sans voix. Elle contempla le
désastre. D’un seul coup, elle vint de briser toute sa vie. Des
sentiments confus s’entremêlèrent dans sa tête : rage, tristesse,
peur, inconnu.
L’inconnu justement. Il ne va certainement pas
tarder à venir réclamer son prix et le prix ; c’est elle. La
princesse se demande pourquoi elle s’est embarquée dans cette galère.
Bien sûr, elle était certaine de gagner. Rien ni personne ne lui avait
jamais résisté mais celui-là… avec son petit quelque chose de différent !...
Ce qui frappe chez lui, c’est son regard : droit, lumineux,
intense ou bien non, c’est sa voix : douce, chantante, caressante
ou plutôt son allure : fière, digne, masculine. Il est tellement
beau, si grand, si blond avec une bouche bien dessinée et l’œil
bleu. On dirait qu’il sort tout droit d’une gravure de mode et
pourtant, il était là, à ses pieds, prêt à risquer sa vie pour
gagner son cœur.
Et lorsqu’il lui a demandé comme une faveur
quelques heures, elle n’a pas résisté. Elle lui a accordé 3 jours
et 3 chances. Trois occasions de se cacher d’elle sinon il irait
rejoindre les 99 têtes qui bordent l’allée qui mène à sa tour.
Mais vite, il n’est plus temps de rêver. Il
va arriver. Il ne faut pas qu’il sache. Il ne faut pas qu’il voie le
désastre.
- Mes gens ! A l’aide ! Au secours ! Je suis perdue !
Les femmes de chambre arrivent avec des seaux,
des ramassettes, des brosses. Elles ramassent les morceaux les plus gros
et balayent les particules plus petites. Le régisseur sans qu’on lui
demande rien s’en est allé chercher le vitrier. Une tour sans vitre
n’est plus une tour. La princesse se lamente, implore le ciel, prie
Dieu et tous les Saints.
- Viens Léontine. Allons dans ma chambre. Il
faut que je me coiffe et que je me pare pour recevoir le vainqueur. Il
ne devrait plus tarder à présent.
Léontine suit la princesse de son pas traînant
en marmonnant entre ses dents. L’effet de son poids et de ses jambes
petites lui donnent une démarche de cane. Oui mais ici, c’est le
caneton qui tire la cane. En tendant l’oreille on peut entendre :
Ma princesse, mon enfant, ma petite fille, celle que j’ai vue naître
et que j’ai nourrie, celle que j’ai bercée et consolée. Je la
voyais se marier avec un prince et même pourquoi pas avec un roi. Et
voilà qu’elle va se donner au premier va-nu-pieds venu.
Oui. C’est
qui ce rien du tout ? On ne sait pas d’où il sort. Et puis, une
princesse comme ma princesse, c’est un prix bien trop beau tout juste
pour s’être caché. Tiens, d’abord, il était caché où cet
animal, ce suppôt de Satan. Pour sûr qu’il a fait quelque tour de
magie ou bien un pacte avec le Diable. Jésus, Marie, Joseph, priez pour
nous. Qu’est-ce qui va nous arriver ?
- Léontine, dépêche-toi. Je dois choisir ma
robe. Mais qu’est-ce que tu as à grommeler comme ça ? On dirait
un ours.
Un ours. C’est à un ours qu’elle me
compare. Ah ça, ça n’était jamais arrivé. Voilà déjà le Diable
qu’est débarqué. Léontine se signe, croise les doigts et si elle
osait, elle cracherait.
- Léontine ? Qu’est-ce que tu penses de
la bleue ou plutôt non la rose à moins que la mauve ou bien la
grenat ? Léontine ? Réponds-moi ! Et puis, je vais
mettre la bleue. Elle a exactement la couleur de ses yeux. Et puis, je
vais laisser flotter mes cheveux. Ce chignon est tout défait. Tu as
remarqué que le ouistiti s’y était caché ? dommage qu’il
soit parti. Je suis un peu vive. Je n’aurais pas dû le chasser.
Saint Lambert, Saint Albert, Saint Philibert.
C’était caché qu’elle a dit. Oh mais moi, je suis sûre que
c’est pas chrétien cette affaire là. L’autre, je vous dis que
c’était un singe. Et re-signe de croix et re-croisement de doigts. Léontine
faut te resaisir et servir ta maîtresse. Elle va avoir besoin de toi.
Pendant ce temps, le ouistiti entre dans la forêt
à la recherche du montreur d’animal. Dans la clairière, il ne trouve
que le renard occupé à compter ses pièces d’or qu’il a reçues de
la princesse en échange de son animal.
- Renard ! Ça a marché. Tu es le plus
fort. Le corbeau m’avait caché dans son œuf. Pff ! Bien fait
qu’il se soit fait couper la tête. De toute façon, il n’avait pas
de cervelle. Et le poisson, il m’avait avalé et c’est lui qui a
servi de dîner. Oh mais toi, Renard. Tu es vraiment rusé. Rusé
comme… comme un renard. Rechange-moi vite en jeune homme que j’aille
retrouver ma belle et prendre possession de mon château.
- Tu vois, je ne sais pas si je vais le faire. C’est vrai que tu as
enlevé l’épine qui me faisait souffrir et qui me rendait boiteux
mais tu avais tellement envie de me tuer. Rien ne me dit que tu ne le
feras pas demain. Imagine que ça te reprenne. Qu’est-ce qui me
garantit qu’à la première occasion venue tu ne me tireras pas dessus ?
Rusé peut-être mais moi, je veux des garanties.
Le ouistiti qui n'était pas plus grand qu'un pouce se gratte la tête . C’est une
situation qu’il n’a pas envisagée.
- Renard, demande ce que tu voudras et tu
l’auras mais d’abord fais-moi redevenir un homme car rien ne me
prouve que tu respecteras ta parole lorsque tu auras ce que tu veux.
Renard, ce n’est pas à un vieux singe que l’on apprend à faire la
grimace.
Les deux animaux se regardent. Il savent
qu’ils ont besoin l’un de l’autre. Le renard se remet à compter
ses pièces d’or, les glisse dans la bourse de cuir, se lève et fait
mine de partir.
- Renard, ne t’en va pas. Je t’accorde trois
vœux. Demande et tu les auras dès que j’aurai épousé la princesse.
- Voilà qui est bien parlé. D’abord je veux… je veux dix poules
bien grasses chaque semaine.
- Accordé.
- Ensuite, je veux… je veux que plus personne ne vienne chasser dans
cette forêt.
- Accordé.
- Enfin, je veux… je veux assister à ton mariage et être ton témoin.
- Renard mais ce que tu demandes là est impossible. Jamais je ne parviendrai à expliquer ce que fait un renard à mes côtés un jour de noces. Et puis, pense si tu te mettais à parler. Je ne peux pas t’accorder ton souhait. Demande autre chose.
- Renard mais ce que tu demandes là est impossible. Jamais je ne parviendrai à expliquer ce que fait un renard à mes côtés un jour de noces. Et puis, pense si tu te mettais à parler. Je ne peux pas t’accorder ton souhait. Demande autre chose.
- C’est ça ou tu restes ouistiti toute ta vie et moi, le renard, je
crois que j’aime bien… manger les ouistitis.
Le singe effrayé recule d’un pas.
- D’accord tu as gagné mais ne pourrais-tu
pas faire quelque chose, te changer en humain mais surtout pas en
forain. Tu pourrais être un prince étranger.
- Tu as raison. La chose peut se faire. Allons jusqu’à la source
magique.
Le ouistiti entre dans l’eau glacée et
redevient le beau jeune homme qu’il était quelques heures plus tôt.
Il porte un haut de chausse bleu azur pailleté d’étoiles d’or. Son
habit est si beau qu’il faut plisser les yeux pour ne pas être ébloui.
Il se regarde dans l’onde et un magnifique sourire illumine son
visage. Le renard entre dans l’eau à son tour et ressort en sultan
des mille et une nuits. Il est paré de toutes les soies de l’Orient,
merveilleusement vêtu et digne d’aller à des noces. Les deux hommes
se mettent en route pour le château.
A mi-chemin, il croise le vitrier qui s’en
retourne chez lui sa tâche achevée. Ils arrivent jusqu’à la tour
sans rencontrer un seul piquet. Tout a été nettoyé et les 99 têtes
ont disparu a jamais. Les portes sont grandes ouvertes et ils entrent.
De tous les côtés, les villageois accourent.
Ils ont tous été invités aux épousailles. La musique et le vin
coulent à flot. Les odeurs de cuisine s’insinuent dans chaque
parcelle d’air. Ça sent le pâté en croûte, la pintade farcie, les
morilles, l’ail, le gâteau à la vanille. Toutes les fleurs se sont
ouvertes en un instant et offrent un tapis multicolore et odorant.
La princesse apparaît, tend la main au jeune
homme. Le temps suspend son vol pour une seconde d’éternité et les
voilà mariés.
Ils eurent de nombreux enfants qui aimèrent plus que tout, sans savoir pourquoi, la compagnie de petits singes si minuscules qu'ils les emportaient partout dans le fond d'une poche, et furent heureux toute leur vie. C’est normal, c’est
toujours ainsi que se terminent les contes de fées.
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