jeudi 24 juillet 2014

La petite sirène : conte pour enfants

lavande, sirène - csp2124790

 


Au large dans la mer, l'eau est bleue comme les pétales du plus beau bleuet et transparente 
 
comme le plus pur cristal; mais elle est si profonde qu'on ne peut y jeter l'ancre et qu'il faudrait
mettre l'une sur l'autre bien des tours d'église pour que la dernière émerge à la surface. 
 
Tout en bas, les habitants des ondes ont leur demeure. Mais n'allez pas croire qu'il n'y a là que 
des fonds de sable nu blanc, non il y pousse les arbres et les plantes les plus étranges dont les 
tiges et les feuilles sont si souples qu'elles ondulent au moindre mouvement de l'eau.On dirait 
qu'elles sont vivantes. Tous les poissons, grands et petits, glissent dans les branches comme ici
 les oiseaux dans l'air.
 
A l'endroit le plus profond s'élève le château du Roi de la Mer. Les murs en sont de corail et les hautes
 fenêtres pointues sont faites de l'ambre le plus transparent, mais le toit est en coquillages qui se
 ferment ou s'ouvrent au passage des courants. L'effet en est féerique car dans chaque coquillage il y a 
des perles brillantes dont une seule serait un ornement splendide sur la couronne d'une reine. 
 
Le Roi de la Mer était veuf depuis de longues années, sa vieille maman tenait sa maison. C'était une 
femme d'esprit, mais fière de sa noblesse; elle portait douze huîtres à sa queue, les autres dames de 
qualité n'ayant droit qu'à six. Elle méritait du reste de grands éloges et cela surtout parce qu'elle aimait
infiniment les petites princesses de la mer, filles de son fils. Elles étaient six enfants charmantes, mais la
 plus jeune était la plus belle de toutes, la peau fine et transparente tel un pétale de rose blanche, les 
yeux bleus comme l'océan profond ... mais comme toutes les autres, elle n'avait pas de pieds, son 
corps se terminait en queue de poisson. 
 
 Le château était entouré d'un grand jardin aux arbres rouges et bleu sombre, aux fruits rayonnants 
comme de l'or, les fleurs semblaient de feu, car leurs tiges et leurs pétales pourpres ondulaient comme 
des flammes. Le sol était fait du sable le plus fin, mais bleu comme ls soufre en flammes. Surtout sur 
cela planait une étrange  lueur bleuâtre, on se serait cru très haut dans l'azur avec le ciel au-dessus et 
en dessous de soi, plutôt qu'au fond de la mer. 
 
Par temps très calme, on apercevait le soleil comme une fleur de pourpre, dont la corolle irradiait des 
faisceaux de lumière. Chaque princesse avait son carré de jardin où elle pouvait bêcher et planter à son 
gré, l'une donnait à  sa corbeille de fleurs la forme d'une baleine, l'autre préférait qu'elle figurât une sirène, 
mais la plus jeune fit la sienne toute ronde comme le soleil et n'y planta que des fleurs éclatantes comme lui.
 
 
sirène, silhouette - csp20327341
 
C'était une singulière enfant, silencieuse et réfléchie. Tandis que ses sœurs ornaient leurs jardinets des 
objets les plus disparates tombés de navires naufragés, elle ne voulut, en dehors des fleurs rouges comme 
le soleil de là- haut, qu'une statuette de marbre, un charmant jeune garçon taillé dans une pierre d'une 
blancheur pure, et échouée, par suite d'un naufrage, au fond de la mer. Elle planta près de la statue un 
saule pleureur rouge qui grandit à merveille.
  
Elle n'avait pas de plus grande joie que d'entendre parler du monde des humains. La grand-mère devait
 raconter tout ce qu'elle savait des bateaux et des villes, des hommes et des bêtes et, ce qui l'étonnait
  le plus, c'est que là- haut, sur la terre, les fleurs eussent un parfum, ce qu'elles n'avaient pas au fond de
 la mer, et que la forêt y fût verte et que les poissons voltigeant dans les branches chantassent si
 délicieusement que c'en était un plaisir. C'étaient les oiseaux que la grand-mère appelait poissons,
  autrement les petites filles ne l'auraient pas comprise n'ayant jamais vu d'oiseaux.
 
- Quand vous aurez vos quinze ans, dit la grand-mère, vous aurez la permission de monter à la surface, 
de vous asseoir au clair de lune sur les rochers et de voir  passer les grands vaisseaux qui naviguent et 
vous verrez les forêts et les villes, vous verrez ! Au cours de l'année, l'une des sœurs eut quinze ans
 et comme elles se suivaient toutes à un an de distance, la plus jeune devait attendre cinq grandes années 
avant de pouvoir monter du fond de la mer. 
 
Mais chacune promettait aux plus jeunes de leur raconter ce qu'elle avait vu de plus beau dès le premier jour,
grand-mère n'en disait jamais assez à leur gré, elles voulaient savoir tant de choses ! Aucune n'était plus 
impatiente que la plus jeune, justement celle qui avait le plus longtemps à attendre, la silencieuse, la pensive ... 
Que de nuits elle passait debout à la fenêtre ouverte scrutant la sombre eau bleue que les poissons battaient
de leurs nageoires et de leur queue. Elle apercevait la lune et les étoiles plus pâles il est vrai à travers
 l'eau, mais plus grandes aussi qu'à nos yeux. Si parfois un nuage noir glissait au-dessous d'elles, la petite
savait que c'était une baleine qui nageait dans la mer, ou encore un navire portant de nombreux hommes, 
lesquels  ne pensaient sûrement pas qu'une adorable petite sirène, là, tout en bas, tendait ses fines mains
blanches vers la quille du bateau.
 
Vint le temps où l'aînée des princesses eut quinze ans et put monter à la surface de la mer. A son retour, elle 
avait mille choses à raconter mais le plus grand plaisir, disait-elle, était de s'étendre au clair de lune sur un 
banc de sable par une mer calme et de voir, tout près de la côte, la grande ville aux lumières scintillantes 
comme des centaines d'étoiles, d'entendre la musique et tout ce vacarme des voitures et des gens, 
d'apercevoir tant de tours d'églises et de clochers, d'entendre sonner les cloches. Justement, parce
qu'elle ne pouvait y aller, c'était de cela qu'elle avait le plus grand désir.
 Oh! comme la plus jeune sœur l'écoutait passionnément, et depuis lors, le soir, lorsqu'elle se tenait près de 
la fenêtre ouverte et regardait en haut à travers l'eau sombre et bleue, elle pensait à la grande ville et à ses 
rumeurs, et il  lui semblait entendre le son des cloches descendant  jusqu'à elle. 
 
 L'année suivante, ce fut le tour de la troisième sœur. Elle était la plus hardie de toutes, aussi remonta-t-elle 
le coe urs d'un large fleuve qui se jetait dans la mer. Elle vit de jolies collines vertes couvertes de vignes, 
des châteaux et des fermes apparaissaient au milieu des forêts, elle entendait les oiseaux chanter et le soleil 
ardent l'obligeait souvent à plonger pour rafraîchir son visage brûlant. 
 
 
Toon, sirène - csp1124868
 
 Dans une petite anse, elle rencontra un groupe d'enfants qui couraient tout nus et barbotaient dans l'eau. Elle
 aurait aimé jouer avec eux, mais ils s'enfuirent effrayés, et un petit animal noir - c'était un chien  mais elle n'en 
avait jamais vu - aboya si férocement après elle qu'elle prit peur et nagea vers le large. 
 
La quatrième n'était pas si téméraire, elle resta au large et raconta que c'était là précisément le plus
 beau. On voyait à des lieues autour de soi et le ciel, au-dessus, semblait une grande cloche de verre. Elle
 avait bien vu des navires, mais de très loin, ils ressemblaient à de grandes mouettes, les dauphins
 avaient fait des culbutes et les immenses baleines avaient fait jaillir l'eau de leurs narines, des centaines de jets 
d'eau.  

Vint enfin le tour de la cinquième sœur. Son anniversaire se trouvait en hiver, elle vit ce que les autres n'avaient 
pas vu. La mer était toute verte, de-ci de-là flottaient de grands icebergs dont chacun avait l'air d'une perle.
Elle était montée sur l'un d'eux et tous les voiliers s'écartaient effrayés de l'endroit où elle était assise, ses longs 
cheveux flottant au vent, mais vers le soir les nuages obscurcirent le ciel, il y eut des éclairs et du tonnerre, 
la mer noire élevait très haut les blocs de glace scintillant dans le zigzag de la  foudre. Sur tous les bateaux, on 
carguait les voiles dans l'angoisse et l'inquiétude, mais elle, assise sur  l'iceberg flottant, regardait la lame bleue 
de l'éclair tomber dans la mer un instant illuminée. 
 
La première fois que l'une des sœurs émergeait à la surface de la mer, elle était toujours enchantée de
la beauté, de la nouveauté du spectacle, mais, devenues des filles adultes, lorsqu'elles étaient libres d'y
 remonter comme elles le voulaient, cela leur devenait indifférent, elles regrettaient leur foyer et, au bout
d'un mois, elles disaient que le fond de la mer c'était plus beau et qu'on était si bien chez soi !
 
Lorsque le soir les sœurs, se tenant par le bras, montaient à travers l'eau profonde, la petite dernière
restait toute seule et les suivait des yeux ; elle aurait voulu pleurer, mais les sirènes n'ont pas de larmes et
 n'en souffrent que davantage. 
 
- Hélas ! que n'ai-je quinze ans ! soupirait-elle. Je sais que moi j'aimerais le monde de là-haut et les
 hommes qui y construisent leurs demeures. 
 
- Eh bien, tu vas échapper à notre autorité, lui dit sa grand-mère, la vieille reine douairière. Viens, que
 je te pare comme tes sœurs. Elle mit sur ses cheveux une couronne de lys blancs dont chaque pétale était une
 demi-perle et elle lui fit attacher huit huîtres à sa queue pour marquer sa haute naissance. 
 
- Cela fait mal, dit la petite. 
 
- Il faut souffrir pour être belle, dit la vieille.
 
Oh! que la petite aurait aimé secouer d'elle toutes ces parures et déposer cette lourde couronne! Les fleurs
rouges de son jardin lui seyaient mille fois mieux, mais elle n'osait pas à présent en changer. 
 
 
sirène - csp6037555
 
-Au revoir, dit-elle, en s'élevant aussi légère et brillante qu'une bulle à travers les eaux.
Le soleil venait de se coucher lorsqu'elle sortit sa tête à la surface, mais les nuages portaient encore son
 reflet de rose et d'or et, dans l'atmosphère tendre, scintillait l'étoile du soir, si douce et si belle!
L'air était pur et frais, et la mer sans un pli. Un grand navire à trois mâts se trouvait là, une seule voile tendue, 
car il n'y avait pas le moindre souffle de vent, et tous à la ronde sur les cordages et les vergues, les matelots 
étaient assis. On faisait de la musique, on chantait, et lorsque le soir s'assombrit, on alluma des centaines de 
lumières de couleurs diverses. On eût dit que flottaient dans l'air les drapeaux de  toutes les nations. 
 
 La petite sirène nagea jusqu'à la fenêtre du salon du navire et, chaque fois qu'une vague la soulevait, elle
 apercevait à travers les vitres transparentes une réunion de personnes en grande toilette. Le plus beau de
 tous était un jeune prince aux yeux noirs ne paraissant guère plus de seize ans. C'était son anniversaire,
 c'est pourquoi il y avait grande fête. Les marins dansaient sur le pont et lorsque Le jeune  prince y apparut, des 
centaines de fusées montèrent vers le ciel et éclatèrent en éclairant comme en plein jour. 
 
La petite sirène en fut tout effrayée et replongea dans l'eau, mais elle releva bien vite de nouveau la tête et il lui
 parut alors que toutes les étoiles du ciel tombaient sur elle. Jamais elle n'avait vu pareille magie embrasée. 
De grands soleils  flamboyants tournoyaient, des poissons de feu s'élançaient dans l'air bleu et la mer paisible
réfléchissait toutes ces lumières. Sur le navire, il faisait si clair qu'on pouvait voir le moindre cordage et 
naturellement les personnes. Que le jeune prince était beau, il serrait les mains à la ronde, tandis que la
 musique s'élevait dans la belle nuit ! 
 
Il se faisait tard mais la petite sirène ne pouvait détacher son regard du bateau ni du beau prince. Les
lumières colorées s'éteignirent, plus de fusées dans l'air, plus de canons, seulement, dans le plus profond de
l'eau un sourd grondement. Elle flottait sur l'eau et les vagues la balançaient, de sorte qu'elle voyait
l'intérieur du salon. Le navire prenait de la vitesse, l'une après l'autre on larguait les voiles, la mer
 devenait houleuse, de gros nuages parurent, des éclairs sillonnèrent au loin le ciel. Il allait faire un temps
 épouvantable ! Alors, vite les matelots replièrent les voiles. 
 
Le grand navire roulait dans une course folle sur la mer démontée, les vagues, en hautes montagnes
noires, déferlaient sur le grand mât comme pour  l'abattre, le bateau plongeait comme un cygne entre les
lames et s'élevait ensuite sur elles. Les marins, eux, si la petite sirène s'amusait de cette course, semblaient 
ne pas la goûter, le navire craquait de toutes parts, les épais cordages ployaient sous les coups. La mer 
attaquait. Bientôt le mât se brisa par le milieu comme un simple roseau, le bateau prit de la bande, l'eau envahit 
la cale. 
 
 Alors seulement la petite sirène comprit qu'il y avait danger, elle devait elle- même se garder des poutres et
 des épaves tourbillonnant dans l'eau. Un instant tout fut si noir qu'elle ne vit plus rien et  tout à coup, le temps 
d'un éclair, elle les aperçut tous sur le pont. Chacun se sauvait comme il pouvait. C'était le jeune prince qu'elle 
cherchait du regard et, lorsque le bateau s'entrouvrit, elle le vit s'enfoncer dans la mer profonde. 
 
Elle en eut d'abord de la joie à la pensée qu'il descendait chez elle, mais ensuite elle se souvint que
les hommes ne peuvent vivre dans l'eau et qu'il ne pourrait atteindre que mort le château de son père. 
 
 Non ! il ne fallait pas qu'il mourût ! Elle nagea au milieu des épaves qui pouvaient l'écraser, plongea
 profondément puis remonta très haut au milieu des vagues, et enfin elle approcha le prince. Il n'avait
 presque plus la force de nager, ses bras et ses jambes déjà s'immobilisaient, ses beaux yeux se fermaient, il
 serait mort sans la petite sirène. 
 
Quand vint le matin, la tempête s'était apaisée, pas le moindre débris du bateau n'était en vue; le soleil se 
leva, rouge et étincelant et semblant ranimer les joues du prince, mais ses yeux restaient clos. La petite sirène 
déposa un baiser sur son beau front élevé et repoussa ses cheveux ruisselants. 
 
 
 
vendange, sirène - csp16476626
 
 Elle voyait maintenant devant elle la terre ferme aux hautes montagnes bleues couvertes de neige, aux belles
forêts vertes descendant jusqu'à la côte. Une église ou un cloître s'élevait là - elle ne savait au juste, mais un 
bâtiment. Des citrons et des oranges poussaient dans le jardin et devant le portail se dressaient des palmiers. 
La mer creusait là une petite crique à l'eau parfaitement calme, mais très profonde, baignant un rivage rocheux
couvert d'un sable blanc très fin. Elle nagea jusque-là avec le beau prince, le déposa sur le sable en ayant
soin de relever sa tête sous les chauds rayons du soleil. 
 
Les cloches se mirent à sonner dans le grand édifice blanc et des jeunes filles traversèrent le jardin. Alors
la petite sirène s'éloigna à la nage et se cacha derrière quelque haut récif émergeant de l'eau, elle
couvrit d'écume ses cheveux et sa gorge pour passer inaperçue et se mit à observer qui allait venir vers le
pauvre prince.
 
Une jeune fille ne tarda pas à s'approcher, elle eut d'abord grand-peur, mais un instant seulement, puis elle
courut chercher du monde. La petite sirène vit le prince revenir à lui, il sourit à tous à la ronde, mais pas
à elle, il ne savait pas qu'elle l'avait sauvé. Elle en eut grand-peine et lorsque le prince eut été porté dans le 
grand bâtiment, elle plongea désespérée et retourna chez elle au palais de son père.
 
Elle avait toujours été silencieuse et pensive, elle le devint bien davantage. Ses sœurs lui demandèrent ce
qu'elle avait vu là-haut, mais elle ne raconta rien. 
 
Bien souvent le soir et le matin elle montait jusqu'à la place où elle avait laissé le prince. Elle vit mûrir
les fruits du jardin et elle les vit cueillir, elle vit la neige fondre sur les hautes montagnes, mais le prince,
elle ne le vit pas, et elle retournait chez elle toujours plus désespérée. 
 
 A la fin elle n'y tint plus et se confia à l'une de ses sœurs. Aussitôt les autres furent au courant, mais
elles seulement et deux ou trois autres sirènes qui ne le répétèrent qu'à leurs amies les plus intimes.
 L'une d'elles savait qui était le prince, elle avait vu aussi la fête à bord, elle savait d'où il était, où se trouvait 
son royaume. 
 
- Viens, petite sœur, dirent les autres princesses.  Et, s'enlaçant, elles montèrent en une longue chaîne
 vers la côte où s'élevait le château du prince.  Par les vitres claires des hautes fenêtres on voyait les
 salons magnifiques où pendaient de riches rideaux de soie et de précieuses portières. Les murs s'ornaient,
 pour le plaisir des yeux, de grandes peintures. Dans la plus grande salle chantait un jet d'eau jaillissant très
haut vers la verrière du plafond.
 
Elle savait maintenant où il habitait et elle revint souvent, le soir et la nuit. Elle s'avançait dans l'eau bien plus 
près du rivage qu'aucune de ses sœurs n'avait osé le faire, oui, elle entra même dans l'étroit canal passant 
sous le balcon de marbre qui  jetait une longue ombre sur l'eau et là elle restait àregarder le jeune prince qui 
se croyait seul au clair de lune. 
 
Bien des nuits, lorsque les pêcheurs étaient en mer avec leurs torches, elle les entendit dire du bien du
jeune prince, elle se réjouissait de lui avoir sauvé la vie lorsqu'il roulait à demi mort dans les vagues. Elle
songeait au poids de sa tête sur sa jeune poitrine et de quels fervents baisers elle l'avait couvert. Lui ne
savait rien de tout cela, il ne pouvait même pas rêver d'elle. 
 
 De plus en plus elle en venait à chérir les humains, de plus en plus elle désirait pouvoir monter parmi eux,
 leur monde, pensait-elle, était bien plus vaste que le sien. Ne pouvaient-ils pas sur leurs bateaux sillonner
 les mers, escalader les montagnes bien au-dessus des nuages et les pays qu'ils possédaient ne s'étendaient-ils 
pas en forêts et champs bien au-delà de ce que ses yeux pouvaient saisir ? 
 
Elle voulait savoir tant de choses pour lesquelles ses sœurs n'avaient pas toujours de réponses, c'est
pourquoi elle interrogea sa vieille grand-mère, bien informée sur le monde d'en haut, comme elle appelait
fort justement les pays au-dessus de la mer. 
 
- Si les hommes ne se noient pas, demandait la petite sirène, peuvent-ils vivre toujours et ne meurent-ils pas
comme nous autres ici au fond de la mer ? 
 
 
a, sirène, sous, mer, à côté de, trésors - csp19076706
 
 
- Si, dit la vieille, il leur faut mourir aussi et la durée de leur vie est même plus courte que la nôtre.
Nous pouvons atteindre trois cents ans, mais lorsque nous cessons d'exister ici nous devenons écume sur 
les flots sans même une tombe parmi ceux que nous aimons. Nous n'avons pas d'âme immortelle, nous ne
 reprenons jamais vie, pareils au roseau vert qui, une fois coupé, ne reverdit jamais. 
 
Les hommes au contraire ont une âme qui vit éternellement, qui vit lorsque leur corps est retourné
en poussière. Elle s'élève dans l'air limpide jusqu'aux étoiles scintillantes. De même que nous émergeons 
de la mer pour voir les pays des hommes, ils montent vers des pays inconnus et pleins de délices que nous 
ne pourrons voir jamais. 
 
- Pourquoi n'avons-nous pas une âme éternelle ? dit la petite, attristée ; je donnerais les centaines d'années
que j'ai à vivre pour devenir un seul jour un être humain et avoir part ensuite au monde céleste ! 
 
- Ne pense pas à tout cela, dit la vieille, nous vivons beaucoup mieux et sommes bien plus heureux que les 
hommes là-haut. 
 
 - Donc, il faudra que je meure et flotte comme écume sur la mer et n'entende jamais plus la musique des 
vagues, ne voit plus les fleurs ravissantes et le rouge soleil. Ne puis-je rien faire pour gagner une vie éternelle ? 
 
 - Non, dit la vieille, à moins que tu sois si chère à un homme que tu sois pour lui plus que père et mère,
qu'il s'attache à toi de toutes ses pensées, de tout son amour, qu'il fasse par un prêtre mettre sa main
droite dans la tienne en te promettant fidélité ici-bas et dans l'éternité. Alors son âme glisserait dans ton
corps et tu aurais part au bonheur humain. Il te donnerait une âme et conserverait la sienne. Mais cela
 ne peut jamais arriver. Ce qui est ravissant ici dans la mer, ta queue de poisson, il la trouve très laide
 là-haut sur la terre. Ils n'y entendent rien, pour être beau, il leur faut avoir deux grossières colonnes qu'ils
appellent des jambes. 
 
La petite sirène soupira et considéra sa queue de poisson avec désespoir. 
 
 - Allons, un peu de gaieté, dit la vieille, nous avons trois cents ans pour sauter et danser, c'est un bon laps
de temps. Ce soir il y a bal à la cour. Il sera toujours temps de sombrer dans le néant. 
 
Ce bal fut, il est vrai, splendide, comme on n'en peut jamais voir sur la terre. Les murs et le plafond, dans la
 grande salle, étaient d'un verre épais, mais clair. Plusieurs centaines de coquilles roses et vert pré
 étaient rangées de chaque côté et jetaient une intense clarté de feu bleue qui illuminait toute la salle et brillait 
à travers les murs de sorte que la mer, au-dehors, en était tout illuminée. Les poissons innombrables, grands 
et petits, nageaient contre les murs de verre, luisants d'écailles pourpre ou étincelants comme l'argent et l'or. 
 Au travers de la salle coulait un large fleuve sur lequel dansaient tritons et sirènes au son de leur propre chant
 délicieux. La voix de la petite sirène était la plus jolie de toutes, on l'applaudissait et son cœur e fut un instant 
éclairé de joie car elle savait qu'elle avait la plus belle voix sur terre et sous l'onde. 
 
Mais très vite elle se reprit à penser au monde au-dessus d'elle, elle ne pouvait oublier le beau prince ni son 
propre chagrin de ne pas avoir comme lui une âme immortelle. C'est pourquoi elle se glissa hors du château 
de son père et, tandis que là tout était chants et gaieté, elle s'assit, désespérée, dans son petit jardin. 
Soudain elle entendit le son d'un cor venant vers elle à travers l'eau. 
 
- Il s'embarque sans doute là-haut maintenant, celui que j'aime plus que père et mère, celui vers lequel vont
toutes mes pensées et dans la main de qui je mettrais tout le bonheur de ma vie. J'oserais tout pour les  gagner, 
lui et une âme immortelle. Pendant que mes sœurs dansent dans le château de mon père, j'irai chez la sorcière 
marine, elle m'a toujours fait si peur, mais peut-être pourra-t-elle me conseiller et m'aider! 
 
 Alors la petite sirène sortit de son jardin et nagea vers les tourbillons mugissants derrière lesquels  habitait la 
sorcière. Elle n'avait jamais été de ce côté où ne poussait aucune fleur, aucune herbe marine, il n'y avait là rien 
qu'un fond de sable gris et nu s'étendant jusqu'au gouffre. L'eau y bruissait comme une roue de moulin, 
tourbillonnait et arrachait tout ce qu'elle pouvait atteindre et l'entraînait vers l'abîme. Il fallait à la petite traverser 
tous ces terribles tourbillons pour arriver au quartier où habitait la sorcière, et sur un long trajet il fallait passer
au-dessus de vases chaudes et bouillonnantes que la sorcière appelait sa tourbière. Au-delà s'élevait sa
 maison au milieu d'une étrange forêt. Les arbres et les buissons étaient des polypes, mi-animaux mi-plantes, ils
avaient l'air de serpents aux centaines de têtes sorties de terre. Toutes les branches étaient des bras, longs et
 visqueux, aux doigts souples comme des vers et leurs anneaux remuaient de la racine à la pointe. Ils s'enroulaient 
autour de tout ce qu'ils pouvaient saisir dans la mer et ne lâchaient jamais prise. 
 
 
 
 
Debout dans la forêt la petite sirène s'arrêta toue effrayée, son cœur battait d'angoisse et elle fut sur le point de 
s'en retourner, mais elle pensa au prince, à l'âme humaine et elle reprit courage. Elle enroula, bien serrés autour 
de sa tête, ses longs cheveux flottants pour ne pas donner prise aux polypes, croisa ses mains sur sa poitrine 
et s'élança comme le poisson peut voler à travers l'eau, au milieu des hideux polypes qui étendaient vers elle 
leurs bras et leurs doigts. Elle arriva dans la forêt à un espace visqueux où s'ébattaient de grandes couleuvres 
d'eau montrant des ventres jaunâtres, affreux et gras. Au milieu de cette place s'élevait une maison construite 
en ossements humains. La sorcière y était assise et donnait à manger à un crapaud sur ses lèvres, comme on 
donne du sucre à un canari. 
 
 - Je sais bien ce que tu veux, dit la sorcière, et c'est  bien bête de ta part ! Mais ta volonté sera faite car
 elle t'apportera le malheur, ma charmante princesse. Tu voudrais te débarrasser de ta queue de poisson et 
avoir à sa place deux moignons pour marcher comme le font les hommes afin que le jeune prince s'éprenne de toi, 
que tu puisses l'avoir, en même temps qu'une âme immortelle. A cet instant, la sorcière éclata d'un rire si bruyant et
si hideux que le crapaud et les couleuvres tombèrent à terre et grouillèrent.
 
- Tu viens juste au bon moment, ajouta-t-elle, demain matin, au lever du soleil, je n'aurais plus pu t'aider
 avant une année entière. Je vais te préparer un breuvage avec lequel tu nageras, avant le lever du jour,
jusqu'à la côte et là, assise sur la grève, tu le boiras. Alors ta queue se divisera et se rétrécira jusqu'à 
devenir ce que les hommes appellent deux jolies jambes, mais cela fait mal, tu souffriras comme si la
 lame d'une épée te traversait. Tous, en te voyant,diront que tu es la plus ravissante enfant des hommes
 qu'ils aient jamais vue. Tu garderas ta démarche ailée, nulle danseuse n'aura ta légèreté, mais chaque pas 
que tu feras sera comme si tu marchais sur un couteau effilé qui ferait couler ton sang. Si tu veux souffrir tout
cela, je t'aiderai. 
 
 - Oui, dit la petite sirène d'une voix tremblante en pensant au prince et à son âme immortelle. 
 
 - Mais n'oublie pas, dit la sorcière, que lorsque tu  auras une apparence humaine, tu ne pourras jamais
 redevenir sirène, jamais redescendre auprès de tes sœurs dans le palais de ton père. Et si tu ne gagnes pas 
l'amour du prince au point qu'il oublie pour toi son père et sa mère, qu'il s'attache à toi de  toutes ses pensées 
et demande au pasteur d'unir vos  mains afin que vous soyez mari et femme, alors tu n'auras  jamais une âme
 immortelle. 
 
Le lendemain matin du jour où  en il épouserait une autre, ton cœur se briserait et tu ne serais plus 
qu'écume sur la mer. 
 
 - Je le veux, dit la petite sirène, pâle comme une morte. 
 
 
- Mais moi, il faut aussi me payer, dit la sorcière, et ce n'est pas peu de chose que je te demande. Tu as la
plus jolie voix de toutes ici-bas et tu crois sans doute grâce à elle ensorceler ton prince, mais cette voix, il
faut me la donner. Le meilleur de ce que tu possèdes, il me le faut pour mon précieux breuvage ! Moi, j'y mets 
de mon sang afin qu'il soit coupant comme une lame à deux tranchants. 
 
 
 - Mais si tu prends ma voix, dit la petite sirène, que me restera-t-il ? 
 
 
- Ta forme ravissante, ta démarche ailée et le langage de tes yeux, c'est assez pour séduire un cœur
d'homme. Allons, as-tu déjà perdu courage ? Tends ta  jolie langue, afin que je la coupe pour me payer et 
je te donnerai le philtre tout puissant. 
 
 
 - Qu'il en soit ainsi, dit la petite sirène, et la  sorcière mit son chaudron sur le feu pour faire cuire la
 drogue magique. 
 
 
 - La propreté est une bonne chose, dit-elle en récurant le chaudron avec les couleuvres dont elle avait fait un
 nœud.  Elle s'égratigna le sein et laissa couler son sang  épais et noir. La vapeur s'élevait en silhouettes
 étranges, terrifiantes. A chaque instant la sorcière jetait quelque chose dans le chaudron et la mixture se
mit à bouillir, on eût cru entendre pleurer un crocodile. Enfin le philtre fut à point, il était clair comme l'eau la plus 
pure ! 
 
- Voilà, dit la sorcière et elle coupa la langue de la petite sirène. Muette, elle ne pourrait jamais plus ni
chanter, ni parler. 
 
 
- Si les polypes essayent de t'agripper, lorsque tu retourneras à travers la forêt, jette une seule goutte de ce 
breuvage sur eux et leurs bras et leurs doigts se briseront en mille morceaux. 
 
 
 
 La petite sirène n'eut pas à le faire, les polypes reculaient effrayés en voyant le philtre lumineux qui
 brillait dans sa main comme une étoile. Elle traversa rapidement la forêt, le marais et le courant mugissant.
 Elle était devant le palais de son père. Les lumières étaient éteintes dans la grande salle de bal, tout le
 monde dormait sûrement, et elle n'osa pas aller auprès des siens maintenant qu'elle était muette et allait les
quitter pour toujours. Il lui sembla que son cœur se brisait de chagrin. Elle se glissa dans le jardin, cueillit une fleur 
du parterre de chacune de ses sœurs, envoya de ses doigts mille baisers au palais et monta à travers l'eau 
sombre et bleue de la mer. Le soleil n'était pas encore levé lorsqu'elle vit le palais du prince et gravit les degrés 
du magnifique escalier de marbre. La lune brillait merveilleusement claire. La petite sirène but l'âpre et brûlante
mixture, ce fut comme si une épée à deux tranchants fendait son tendre corps, elle s'évanouit et resta étendue 
comme morte. 
 
Lorsque le soleil resplendit au-dessus des flots, elle revint à elle et ressentit une douleur aiguë. Mais devant elle, 
debout, se tenait le  jeune prince, ses yeux noirs fixés si intensément sur elle qu'elle en baissa les siens et vit 
qu'à la place de  sa queue de poisson disparue, elle avait les plus jolies  jambes blanches qu'une jeune fille pût avoir. 
Et comme elle était tout à fait nue, elle s'enveloppa dans sa longue chevelure. 
 
 
 Le prince demanda qui elle était, comment elle était venue là, et elle leva vers lui doucement, mais
 tristement, ses grands yeux bleus puisqu'elle ne pouvait parler. Alors il la prit par la main et la conduisit au palais. 
A chaque pas, comme la sorcière l'en avait prévenue, il lui semblait marcher sur des aiguilles pointues et des
couteaux aiguisés, mais elle supportait son mal. Sa main dans la main du prince, elle montait aussi légère
qu'une bulle et lui-même et tous les assistant s'émerveillèrent de sa démarche gracieuse et ondulante. 
 
 
 On lui fit revêtir les plus précieux vêtements de soie et de mousseline, elle était au château la plus belle,
 mais elle restait muette. Des esclaves ravissantes, parées de soie et d'or, venaient chanter devant le
 prince et ses royaux parents. L'une d'elles avait une voix plus belle encore que les autres. Le prince
 l'applaudissait et lui souriait, alors une tristesse envahit la petite sirène, elle savait qu'elle-même aurait chanté 
encore plus merveilleusement et elle pensait : « Oh! si seulement il savait que pour rester près de lui, j'ai renoncé 
à ma voix à tout jamais !
       
Puis les esclaves commencèrent à exécuter au son d'une musique admirable, des danses légères et gracieuses.
 Alors la petite sirène, élevant ses beaux bras blancs, se dressa sur la pointe des pieds et dansa avec plus de grâce 
qu'aucune autre. Chaque mouvement révélait davantage le charme de tout son être et ses yeux s'adressaient au 
cœur plus profondément que le chant des esclaves. Tous en étaient enchantés et surtout le prince qui l'appelait sa 
petite enfant trouvée. 
 
 
 Elle continuait à danser et danser mais chaque fois que son pied touchait le sol, C'était comme si elle avait
 marché sur des couteaux aiguisés. Le prince voulut l'avoir toujours auprès de lui, il lui permit de dormir devant sa
 porte sur un coussin de velours.  Il lui fit faire un habit d'homme pour qu'elle pût le suivre à cheval. Ils chevauchaient
à travers les bois embaumés où les branches vertes lui battaient les épaules, et les petits oiseaux chantaient dans le 
frais feuillage. Elle grimpa avec le prince sur les hautes  montagnes et quand ses pieds si délicats saignaient et
que les autres s'en apercevaient, elle riait et le suivait là- haut d'où ils admiraient les nuages défilant au-dessous d'eux 
comme un vol d'oiseau  migrateur partant vers des cieux lointains. 
 
 
 
 
 La nuit, au château du prince, lorsque les autres dormaient, elle sortait sur le large escalier de marbre
 et, debout dans l'eau froide, elle rafraîchissait ses pieds brûlants. Et puis, elle pensait aux siens, en bas,
au fond de la mer. Une nuit elle vit ses sœurs qui nageaient enlacées, elles chantaient tristement et elle leur fit signe. 
Ses sœurs la reconnurent et lui dirent combien elle avait fait de peine à tous. Depuis lors, elles lui rendirent visite 
chaque soir, une fois même la petite sirène aperçut au loin sa vieille grand-mère qui depuis bien des années n'était 
montée à travers la  mer et même le roi, son père, avec sa couronne sur la  tête. Tous deux lui tendaient le bras 
 mais n'osaient s'approcher autant que ses sœurs. 
 
 
De jour en jour, elle devenait plus chère au prince ; il l'aimait comme on aime un gentil enfant tendrement
chéri, mais en faire une reine ! Il n'en avait pas la moindre idée, et c'est sa femme qu'il fallait qu'elle
devînt, sinon elle n'aurait jamais une âme immortelle et, au matin qui suivrait le jour de ses noces, elle ne
serait plus qu'écume sur la mer. 
 
 
- Ne m'aimes-tu pas mieux que toutes les autres ?  semblaient dire les yeux de la petite sirène quand il la
 prenait dans ses bras et baisait son beau front. 
 
 
- Oui, tu m'es la plus chère, disait le prince, car ton cœur est le meilleur, tu m'est la plus dévouée et tu ressembles 
à une jeune fille une fois aperçue, mais que je ne retrouverai sans doute jamais. J'étais sur un vaisseau qui fit 
naufrage, les vagues me jetèrent sur la côte près d'un temple desservi par quelques jeunes filles ; la plus jeune me 
trouva sur le rivage et me sauva la vie. Je ne l'ai vue que deux fois et elle est la seule que j'eusse pu aimer d'amour 
en ce monde, mais toi tu lui ressembles, tu effaces presque son image dans mon  âme puisqu'elle appartient au 
temple. C'est ma bonne  étoile qui t'a envoyée à moi. Nous ne nous quitterons jamais. 
 
 
 " Hélas ! il ne sait pas que c'est moi qui ai sauvé sa vie ! pensait la petite sirène. Je l'ai porté sur les flots jusqu'à 
la forêt près de laquelle s'élève le temple, puis je me cachais derrière l'écume et regardais si personne ne viendrait. 
J'ai vu la belle jeune fille qu'il aime plus que moi. "  La petite sirène poussa un profond soupir. Pleurer, elle
 ne le pouvait pas. 
 
 
 - La jeune fille appartient au lieu saint, elle n'en sortira jamais pour retourner dans le monde, ils ne se
  rencontreront plus, moi, je suis chez lui, je le vois tous les jours, je le soignerai, je l'adorerai, je lui dévouerai ma vie. 
   Mais voilà qu'on commence à murmurer que le prince va se marier, qu'il épouse la ravissante jeune fille du roi
  voisin, que c'est pour cela qu'il arme un vaisseau magnifique ... On dit que le prince va voyager pour voir  les Etats 
du roi voisin, mais c'est plutôt pour voir la fille du roi voisin et une grande suite l'accompagnera ... Mais la petite sirène 
secoue la tête et rit, elle connaît les pensées du prince bien mieux que tous les autres.
 
 
 - Je dois partir en voyage, lui avait-il dit. Je dois voir la belle princesse, mes parents l'exigent, mais m'obliger à la
ramener ici, en faire mon épouse, cela ils n'y réussiront pas, je ne peux pas l'aimer d'amour, elle ne ressemble pas 
comme toi à la belle jeune fille du temple. Si je devais un jour choisir une épouse ce serait plutôt toi, mon enfant 
trouvée qui ne dis rien, mais dont les yeux parlent.  Et il baisait ses lèvres rouges, jouait avec ses longs
cheveux et posait sa tête sur son cœur qui se mettait à rêver de bonheur humain et d'une âme immortelle. 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 - Toi, tu n'as sûrement pas peur de la mer, ma petite  muette chérie ! lui dit-il lorsqu'ils montèrent à bord
  du vaisseau qui devait les conduire dans le pays du roi  voisin.   Il lui parlait de la mer tempétueuse et de la mer 
calme, des étranges poissons des grandes profondeurs et de ce  que les plongeurs y avaient vu. Elle souriait de ce 
qu'il racontait, ne connaissait-elle pas mieux que quiconque le  fond de l'océan ? Dans la nuit, au clair de lune, alors
 que tous dormaient à bord, sauf le marin au gouvernail debout près du bastingage elle scrutait l'eau limpide,
 il lui semblait voir le château de son père et, dans les combles, sa vieille grand- mère, couronne d'argent
 sur la tête, cherchant des yeux à travers les courants  la quille du bateau. Puis ses sœurs arrivèrent à la surface, 
la regardant tristement et tordant leurs mains blanches. Elle leur fit signe, leur sourit, voulut leur dire que tout allait bien, 
qu'elle était heureuse, mais un mousse s'approchant, les sœurs replongèrent et le garçon demeura persuadé que 
cette blancheur aperçue n'était qu'écume sur l'eau. 
 
 
Le lendemain matin le vaisseau fit son entrée dans le port splendide de la capitale du roi voisin. Les cloches
des églises sonnaient, du haut des tours on soufflait  dans les trompettes tandis que les soldats sous les
drapeaux flottants présentaient les armes. Chaque jour il y eut fête; bals et réceptions se succédaient mais la 
princesse ne paraissait pas encore. On disait qu'elle était élevée au loin, dans un couvent où lui étaient enseignées 
toutes les vertus  royales.
 
 
 Elle vint, enfin !   La petite sirène était fort impatiente de juger de sa beauté. Il lui fallut reconnaître qu'elle n'avait
 jamais vu fille plus gracieuse. Sa peau était douce et  pâle et derrière les longs cils deux yeux fidèles,  d'un bleu 
sombre, souriaient. C'était la jeune fille du temple ... 
 
 
 - C'est toi ! dit le prince, je te retrouve - toi qui m'as sauvé lorsque je gisais comme mort sur la grève !  Et il serra 
dans ses bras sa fiancée rougissante. Oh !  je suis trop heureux, dit-il à la petite sirène. Voilà que se réalise ce que 
je n'eusse jamais osé espérer. Toi qui m'aimes mieux que tous les autres, tu te réjouiras de mon bonheur. 
 
 
La petite sirène lui baisait les mains, mais elle sentait son cœur se briser. Ne devait-elle pas mourir au matin qui 
suivrait les noces ? Mourir et n'être plus qu'écume sur la mer ! 
 
 
Des hérauts parcouraient les rues à cheval proclamant les fiançailles. Bientôt toutes les cloches des
églises sonnèrent, sur tous les autels des huiles parfumées brûlaient dans de précieux vases d'argent,
les prêtres balancèrent les encensoirs et les époux se tendirent la main et reçurent la bénédiction de
 l'évêque.  La petite sirène, vêtue de soie et d'or, tenait la traîne de la mariée mais elle n'entendait pas la
musique sacrée, ses yeux ne voyaient pas la cérémonie sainte, elle pensait à la nuit de sa mort, à tout ce
qu'elle avait perdu en ce monde. 
 
 
 Le soir même les époux s'embarquèrent aux salves des canons, sous les drapeaux flottants. 
 
 
Au milieu du pont, une tente d'or et de pourpre avait été dressée, garnie de coussins moelleux où les
époux reposeraient dans le calme et la fraîcheur de la nuit. Les voiles se gonflèrent au vent et le bateau glissa
sans effort et sans presque se balancer sur la mer limpide. La nuit venue on alluma des lumières de toutes
 les couleurs et les marins se mirent à danser. La petite sirène pensait au soir où, pour la première fois, elle avait 
émergé de la mer et avait aperçu le même faste et la même joie. Elle se jeta dans le tourbillon de la danse, ondulant 
comme ondule un cygne pourchassé et tout le monde l'acclamait et l'admirait : elle n'avait jamais dansé si divinement. 
Si des lames aiguës transperçaient ses pieds délicats, elle ne les sentait même pas, son cœur était meurtri d'une
bien plus grande douleur. Elle savait qu'elle le voyait pour la dernière fois, lui, pour lequel elle avait abandonné les 
siens et son foyer, perdu sa voix exquise et souffert chaque jour d'indicibles tourments, sans qu'il en eût connaissance. 
 
 
C'était la dernière nuit où elle respirait le même air que lui, la dernière fois qu'elle pouvait admirer cette mer profonde, 
ce ciel plein d'étoiles. La nuit éternelle, sans pensée et sans rêve,l'attendait, elle qui n'avait pas d'âme et n'en pouvait
 espérer. Sur le navire tout fut plaisir et réjouissance jusque bien avant dans la nuit. Elle dansait et riait mais la
 pensée de la mort était dans son cœur. Le prince embrassait son exquise épouse qui caressait les cheveux
 noirs de son époux, puis la tenant à son bras il l'amena se reposer sous la tente splendide. 
 
 
 Alors, tout fut silence et calme sur le navire. Seul veillait l'homme à la barre. La petite sirène appuya ses bras sur le 
bastingage et chercha à l'orient la première lueur rose de l'aurore, le premier rayon de soleil qui allait la tuer. 
 
 
Soudain elle vit ses sœurs apparaître au-dessus de la mer. Elles étaient pâles comme elle-même, leurs
longs cheveux ne flottaient plus au vent, on les avait  coupés. 
 
 
- Nous les avons sacrifiés chez la sorcière pour qu'elle nous aide, pour que tu ne meures pas cette nuit. Elle nous a 
donné un couteau. Le voici. Regarde comme il est aiguisé ... Avant que le jour ne se lève, il faut que tu le plonges 
dans le cœur du prince et lorsque son sang tout chaud tombera sur tes pieds, ils se réuniront en une queue de 
poisson et tu redeviendras sirène. Tu pourras descendre sous l'eau jusque chez nous et vivre trois cents ans avant 
de devenir un peu d'écume salée. Hâte-toi ! L'un de vous deux doit mourir avant  l'aurore. Notre vieille grand-mère a 
tant de chagrin qu'elle a, comme nous, laissé couper ses cheveux blancs par les ciseaux de la sorcière. Tue le prince, 
et reviens-nous. Hâte-toi ! Ne vois-tu pas déjà cette traînée rose à l'horizon ?
 
 Dans quelques minutes le soleil se lèvera et il te faudra mourir.  Un soupir étrange monta à leurs lèvres et elles
  s'enfoncèrent dans les vagues. La petite sirène écarta  le rideau de pourpre de la tente, elle vit la douce
  épousée dormant la tête appuyée sur l'épaule du prince. Alors elle se pencha et posa un baiser sur le beau front 
du jeune homme. Son regard chercha le ciel de plus en plus envahi par l'aurore, puis le poignard pointu, puis à 
nouveau le prince, lequel, dans son sommeil, murmurait le nom de son épouse qui occupait seule ses pensées, 
et le couteau trembla dans sa main.
 
 
 
 
Alors, tout à coup, elle le lança au loin dans les  vagues qui rougirent à l'endroit où il toucha les flots comme si des 
gouttes de sang jaillissaient à la surface. Une dernière fois, les yeux voilés, elle contempla le prince et se jeta dans la 
mer où elle sentit son corps se dissoudre en écume. 
 
 Maintenant le soleil surgissait majestueusement de la mer. Ses rayons tombaient doux et chauds sur l'écume
glacée et la petite sirène ne sentait pas la mort. Elle  voyait le clair soleil et, au-dessus d'elle, planaient des centaines 
de charmants êtres transparents. A travers eux, elle apercevait les voiles blanches du navire, les  nuages roses du ciel, 
leurs voix étaient mélodieuses mais si immatérielles qu'aucune oreille terrestre ne pouvait les capter, pas plus 
qu'aucun regard humain ne pouvait les voir. Sans ailes, elles flottaient par leur seule légèreté à travers l'espace. 
La petite sirène sentit qu'elle avait un corps comme le leur, qui  s'élevait de plus en plus haut au-dessus de l'écume. 
 
 
 - Où vais-je ? demanda-t-elle. Et sa voix, comme celle des autres êtres, était si immatérielle qu'aucune musique 
humaine ne peut l'exprimer. 
 
 
- Chez les filles de l'air, répondirent-elles. Une sirène n'a pas d'âme immortelle, ne peut jamais en avoir, à moins de 
gagner l'amour d'un homme. C'est d'une volonté étrangère que dépend son existence éternelle. Les filles de l'air n'ont 
pas non plus d'âme  immortelle, mais elles peuvent, par leurs bonnes actions, s'en créer une. Nous nous envolons vers 
les pays chauds où les effluves de la peste tuent les hommes, nous y soufflons la fraîcheur. Nous répandons le parfum 
des  fleurs dans l'atmosphère et leur arôme porte le réconfort et la guérison. Lorsque durant trois cents ans nous nous 
sommes efforcées de faire le bien, tout le bien que nous pouvons, nous obtenons une âme immortelle et prenons part 
à l'éternelle félicité des hommes.
 
 
Toi, pauvre petite sirène, tu as de tout cœur cherché le bien comme nous, tu as souffert et supporté de souffrir, tu t'es 
haussée jusqu'au monde des esprits de l'air, maintenant tu peux toi-même, par tes bonnes actions, te créer une âme 
immortelle dans trois cents ans.Alors, la petite sirène leva ses bras transparent  vers le soleil de Dieu et, pour la 
première fois, des  larmes montèrent à ses yeux. 
 
 
Sur le bateau, la vie et le bruit avaient repris, elle vit le prince et sa belle épouse la chercher de tous côtés, elle les vit 
fixer tristement leurs regards sur l'écume dansante , comme s'ils avaient deviné qu'elle  s'était précipitée dans les 
vagues. Invisible elle baisa le front de l'époux, lui sourit et avec les autres filles de l'air elle monta vers les nuages roses 
qui voguaient dans l'air. 
 
 
- Dans trois cents ans, nous entrerons ainsi au royaume de Dieu. 
 
 - Nous pouvons même y entrer avant, murmura l'une d'elles. Invisibles nous pénétrons dans les maisons des
  hommes où il y a des enfants et, chaque fois que nous trouvons un enfant sage, qui donne de la joie à ses parents et 
mérite leur amour, Dieu raccourcit notre temps d'épreuve.  Lorsque nous voltigeons à travers la chambre et que de
 bonheur nous sourions, l'enfant ne sait pas qu'un an nous est soustrait sur les trois cents, mais si nous trouvons
 un enfant cruel et méchant, il nous faut pleurer de chagrin et chaque larme ajoute une journée à notre temps d'épreuve. 
 


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