La Belle aux Cheveux d'Or
Il y avait une fois la fille d'un
roi qui était si belle, qu'il n'y avait rien de si
beau au monde. On la nommait la
Belle aux Cheveux d'Or car ses cheveux
étaient plus fins que de l'or, et
blonds par merveille, tout frisés, qui lui
tombaient jusque sur les pieds.
Elle allait toujours couverte de ses
cheveux bouclés, avec une couronne de
fleurs sur la tête et des habits
brochés de diamants et de perles, si bien qu'on
ne pouvait la voir sans l'aimer.
Il y avait un jeune roi de ses
voisins qui n'était point marié, et qui était bien fait
et bien riche. Quand il eut appris
tout ce qu'on disait de la Belle aux Cheveux
d'Or, bien qu'il ne l'eût point
encore vue, il se prit à l'aimer si fort, qu'il en perdait
le boire et le manger, et il se
résolut de lui envoyer un ambassadeur pour la demander en mariage.
Il fit faire un carrosse magnifique
à son ambassadeur ; il lui donna plus de cent chevaux et cent laquais, et lui
recommanda bien de lui amener la princesse.
Quand il eut pris congé du roi et
qu'il fut parti, toute la cour ne
parlait d'autre
chose ; et le roi, qui ne doutait
pas que la Belle aux Cheveux d'Or ne
consentît
à ce qu'il souhaitait, lui faisait
déjà faire de belles robes et des meubles
admirables. Pendant que les ouvriers étaient occupés à travailler,
l'ambassadeur, arrivé chez la Belle aux Cheveux d'Or, lui fit son petit message.
Mais soit qu'elle
ne fût pas ce jour-là de bonne
humeur, ou que le compliment ne lui
semblât pas à son gré, elle répondit à l'ambassadeur qu'elle remerciait
le roi, mais qu'elle n'avait point envie de se marier.
L'ambassadeur partit de la cour de
cette princesse, bien triste de ne pas l’amener
avec lui ; il rapporta tous les présents qu'il lui avait portés de la part du
roi : car elle était fort sage, et savait bien
qu'il ne faut pas que les filles reçoivent rien des garçons.
Aussi elle ne voulut jamais accepter les beaux
diamants et le reste ; et, pour ne
pas mécontenter le roi, elle prit
seulement un quarteron d'épingles d'Angleterre.
Quand l'ambassadeur arriva à la
grande ville du roi, où il était attendu si impatiemment, chacun s'affligea de
ce qu'il n'amenait point la Belle aux
Cheveux d'Or. Le roi se mit à pleurer comme un enfant : on le consolait sans pouvoir venir à bout de sa
peine.
Il y avait un jeune garçon à la cour
qui était beau comme le soleil, et le mieux fait de tout le royaume : à cause
de sa bonne grâce et de son esprit, on
le nommait Avenant. Tout le monde l'aimait, hors les envieux, qui étaient
fâchés que le roi lui fît du bien et qu'il lui confiât tous les jours ses
affaires.
Avenant se trouva avec des personnes qui
parlaient du retour de l'ambassadeur, et qui disaient qu'il n'avait rien fait
qui vaille. Il leur dit, sans y prendre garde : " Si le roi m'avait envoyé
vers la Belle aux Cheveux d'Or, je suis
certain qu'elle serait venue avec moi.
"
Tout aussitôt ces méchantes gens vont dire au
roi : " Sire, vous ne savez pas ce
que dit Avenant ? Que, si vous
l'aviez envoyé chez la Belle aux Cheveux
d'Or, il l'aurait ramenée. Considérez bien sa malice, il prétend être plus beau
que vous, et qu'elle l'aurait tant aimé,
qu'elle l'aurait suivi partout. "
Voilà le roi qui se met en colère,
en colère tant et tant, qu'il était hors de lui. " Ha !
ha ! dit-il, ce joli mignon se moque
de mon malheur, et il se prise plus que moi. Allons, qu'on le mette dans ma
grosse tour, et qu'il y meure de faim ! "
Les gardes du roi furent chez
Avenant, qui ne pensait plus à ce qu'il avait dit. Ils le traînèrent en prison
et lui firent mille maux. Ce pauvre garçon n'avait qu'un peu de paille pour se
coucher et il serait mort sans une petite fontaine qui coulait dans le pied de
la tour, dont il buvait un peu pour se
rafraîchir : car la faim lui avait bien séché la bouche.
Un jour qu'il n'en pouvait plus, il
disait en soupirant : " De quoi se plaint le roi ? Il n'a point de sujet
qui lui soit plus fidèle que moi, je ne l'ai jamais offensé. " Le roi, par
hasard, passait près de la tour : quand il entendit la voix de celui qu'il
avait tant aimé, il s'arrêta pour l'écouter, malgré ceux qui étaient avec lui,
qui haïssaient Avenant et qui disaient au roi :
" A quoi vous amusez-vous, sire
! ne savez-vous pas que c'est un fripon ? " Le roi répondit : "
Laissez-moi là, je veux l'écouter. " Ayant
ouï ses plaintes, les larmes lui vinrent aux yeux. Il ouvrit la porte de
la tour et l'appela.
Avenant vint tout triste se mettre a
genoux devant lui, et baisa ses pieds : " Que vous ai-je fait, sire, lui
dit-il, pour me traiter si durement ?
- Tu t'es moqué de moi et de mon ambassadeur,
dit le roi. Tu as dit que, si je t'avais envoyé chez la Belle aux Cheveux d'Or,
tu l'aurais bien amenée.
- Il est vrai, sire, répondit
Avenant, que je lui aurais si bien fait connaître vos grandes qualités, que je
suis persuadé qu'elle n'aurait pu s'en défendre ; et en cela je n'ai rien dit
qui ne vous dût être agréable. "
Le roi trouva qu'effectivement il
n'avait point de tort ; il regarda de
travers ceux qui lui avaient dit du mal de son favori, et il l'emmena
avec lui, se repentant bien de la peine qu'il lui avait faite. Après l'avoir fait souper à merveille, il
l'appela dans son cabinet et lui dit : " Avenant, j'aime toujours la Belle
aux Cheveux d'Or, ses refus ne m'ont
point rebuté ; mais je ne sais comment m'y prendre pour quelles veuille m'épouser : j'ai envie
de t'y envoyer pour voir si tu pourras réussir. "
Avenant répliqua qu'il était disposé à lui
obéir en toutes choses, et qu'il partirait dès le lendemain.
" Oh ! dit le roi, je veux te
donner un grand équipage.
- Cela n'est point nécessaire,
répondit-il ; il ne me faut qu'un bon cheval, avec des lettres de votre part.
" Le roi l'embrassa, car il était
ravi de le voir sitôt prêt. Ce fut le
lundi matin qu'il prit congé du roi et de ses amis, pour aller à son ambassade tout seul, sans pompe
et sans bruit. Il ne faisait que rêver
aux moyens d'engager la Belle aux Cheveux d'Or à épouser le roi. Il avait une écritoire dans
sa poche, et, quand il lui venait quelque belle pensée à mettre dans sa
harangue, il descendait de cheval et s'asseyait sous des arbres pour écrire,
afin de ne rien oublier. Un matin qu'il était parti à la petite pointe du jour,
en passant dans une grande prairie, il
lui vint une pensée fort jolie ; il mit
pied à terre, et se plaça contre des saules et des peupliers qui étaient
plantés le long d'une petite rivière qui coulait au bord du pré. Après qu'il
eut écrit, il regarda de tous côtés, charmé de se trouver en un si bel endroit.
Il aperçut sur l'herbe une grosse
carpe dorée qui bâillait et qui n'en pouvait plus, car, ayant voulu attraper de
petits moucherons, elle avait sauté si hors de l'eau, qu'elle
s'était élancée sur l'herbe, où elle était
près de mourir. Avenant en eut pitié ;
et, quoiqu'il fût jour maigre et qu'il eût pu l'emporter pour son dîner, il l’a
pris et la remit doucement dans la rivière. Dès que ma commère la carpe sentit
la fraîcheur de l'eau,
elle commença à se réjouir, et se laissa
couler jusqu'au fond ; puis revenant toute gaillarde au bord de la rivière :
" Avenant, dit-elle, je vous
remercie du plaisir que vous venez de me faire ; sans
vous je serais morte, et vous m'avez sauvée ;
je vous le revaudrai.
" Après ce petit compliment,
elle s'enfonça dans l'eau ; et Avenant demeura bien surpris de l'esprit et de
la grande civilité de la carpe.
Un autre jour qu'il continuait son
voyage, il vit un corbeau bien embarrassé : ce pauvre oiseau était poursuivi
par un gros aigle (grand mangeur de corbeaux) : il était près de l'attraper, et
il l'aurait avalé comme une lentille, si Avenant n'eût éprouvé de la compassion
pour cet oiseau. " Voilà, dit-il, comme les plus forts oppriment les plus
faibles : quelle raison a l'aigle de manger le corbeau ? "
Il prend son arc qu'il portait
toujours, et une flèche, puis, visant bien l'aigle, croc ! il lui décocha la
flèche dans le corps et le perça de part en part. L'aigle tomba mort, et le
corbeau, ravi, vint se percher sur un arbre. " Avenant, lui dit-il, vous
êtes bien généreux de m'avoir secouru,
moi qui ne suis qu'un misérable corbeau ; mais je ne demeurerai point ingrat,
je vous le revaudrai. "
Avenant admira le bon esprit du
corbeau et continua son chemin. En
entrant dans un grand bois, de si bon matin qu'il ne voyait qu'à peine
son chemin, il entendit un hibou qui criait en hibou désespéré. "
Ouais ! dit-il, voilà un hibou bien
affligé ; il pourrait s'être laissé prendre dans quelque filet. " Il
chercha de tous côtés, et enfin il trouva de grands filets que des oiseleurs
avaient tendus la nuit pour attraper des
oisillons. " Quelle pitié dit-il ; les
hommes ne sont faits que pour s'entre
tourmenter, ou pour persécuter de
pauvres animaux qui ne leur font ni tort ni dommage.
Il tira son couteau et coupa les
cordelettes. Le hibou prit l'essor ; mais, revenant à tire-d'aile : "
Avenant, dit-il, il n'est pas nécessaire que je vous fasse une longue harangue
pour vous faire comprendre l'obligation que je vous ai ; elle parle assez
d'elle-même : les chasseurs allaient venir, j'étais pris, j'étais mort sans
votre
secours. J'ai le cœur reconnaissant,
je vous le revaudrai. "
Voilà les trois plus considérables aventures qui arrivèrent à Avenant
dans son voyage. Il était si pressé d'arriver, qu'il ne tarda pas à se rendre
au palais de la Belle aux Cheveux d'Or. Tout y était admirable ; l'on y voyait
les diamants entassés comme des pierres ; les
beaux habits, le bonbon, l'argent ; c'étaient des choses merveilleuses :
et il pensait en lui-même que, si elle quittait tout cela pour venir chez le
roi son maître, il faudrait qu'il ait bien de la chance.
Il
prit un habit de brocart, des plumes incarnates et blanches ; il se peigna, se poudra, se lava le visage, mit une
riche écharpe toute brodée à son cou,
avec un petit panier, et dedans un beau petit chien, qu'il avait acheté en passant à Bologne.
Avenant était si bien fait si aimable,
il faisait toute chose avec tant de grâce, que, lorsqu'il se présenta à la porte du palais, tous les
gardes lui firent une grande révérence ; et l'on courut dire à la Belle aux
Cheveux d'Or, qu'Avenant ambassadeur du
roi son plus proche voisin, demandait à la voir.
Sur ce nom d'Avenant, la princesse
dit : " Je gagerais qu'il est joli
et qu'il plaît à tout le monde.
- Vraiment oui, madame, lui dirent
toutes ses filles d'honneur : nous l'avons vu du grenier où nous accommodions
votre filasse, et tant qu'il est demeuré sous les fenêtres nous n'avons pu rien
faire.
- Voilà qui est beau, répliqua la Belle aux
Cheveux d'Or, de vous amuser à regarder les garçons ! Çà, que l'on me donne ma
grande robe de satin bleu brodée, et que l'on éparpille bien mes blonds cheveux
; que l'on me fasse des guirlandes de
fleurs nouvelles ; que l'on me donne
mes souliers hauts et mon éventail ; que l'on balaie ma chambre et mon trône : car je veux qu'il dise partout que je
suis vraiment la Belle
aux Cheveux d'Or. "
Voilà toutes ses femmes qui
s'empressaient de la parer comme une reine. Elles montraient tant de hâte
qu'elles s'entrecognaient et
n'avançaient guère. Enfin la princesse passa dans sa galerie aux grands miroirs, pour voir si rien ne lui
manquait. Puis elle monta sur son trône
d'Or, d'ivoire, et d'ébène, qui sentait comme un baume, et elle commanda à ses
filles de prendre des instruments et de chanter
tout doucement pour n'étourdir personne.
On conduisit Avenant dans la salle
d'audience. Il demeura si transporté d'admiration, qu'il a dit depuis bien des
fois qu'il ne pouvait presque plus parler. Néanmoins il reprit courage et fit sa
harangue à merveille : il pria la princesse qu'il n'eût pas le déplaisir de
s'en retourner sans elle.
" Gentil Avenant, lui dit-elle, toutes
les raisons que vous venez de me conter
sont fort bonnes, et je vous assure que je serais bien aise de vous favoriser
plus qu'un autre. Mais il faut que vous sachiez qu'il y a un mois je me promenais sur la rivière
avec toutes mes dames ; et comme l'on me servait ma collation, en ôtant mon
gant je tirai de mon doigt une bague qui tomba par malheur dans la rivière. Je
la chérissais plus que mon royaume. Je vous laisse à juger de quelle affliction
cette perte fut suivie. J'ai fait serment de plus jamais écouter aucune proposition de mariage, que
l'ambassadeur me proposerait si cet époux ne me rapportait ma bague. Voyez à
présent ce que vous avez à faire là-dessus car quand vous me parleriez quinze
jours et quinze nuits, vous ne me persuaderiez pas de changer de sentiment.
"
Avenant demeura bien étonné de cette réponse.
Il lui fit une profonde révérence et la
pria de recevoir le petit chien, le panier et l'écharpe ; mais elle lui
répliqua qu'elle ne voulait point de présents, et qu'il songeât à ce qu'elle
venait de lui dire.
Quand il fut retourné chez lui, il
se coucha sans souper. Son petit chien,
qui s'appelait Cabriole, ne voulut pas souper non plus : il vint se mettre
auprès de lui. De toute la nuit, Avenant ne cessa point de soupirer. " Où
puis-je prendre une bague tombée depuis un mois dans une grande rivière ?
disait-il : c'est folie d'essayer. La
princesse ne m'a dit cela que pour
me mettre dans l'impossibilité de lui
obéir. "
Il soupirait et s'affligeait très
fort. Cabriole, qui l'écoutait, lui dit : " Mon cher maître, je vous prie,
ne désespérez point de votre bonne
fortune : vous êtes trop aimable pour n'être pas heureux. Allons, dès qu'il
fera jour, au bord de la rivière. "
Avenant lui donna deux petits coups
de la main et ne répondit rien ; mais,
tout accablé de tristesse, il s'endormit.
Cabriole, voyant le jour, cabriola
tant qu'il l'éveilla, et lui dit :
" Mon maître, habillez- vous, et sortons.
" Avenant le voulut bien. Il se lèva, s'habilla et descendit dans le
jardin, et du jardin il alla
insensiblement au bord de la rivière, où il se promenait son chapeau sur ses yeux et ses bras croisés l'un
sur l'autre, ne pensant qu'à son départ, quand tout d'un coup il entendit qu'on
l'appelait :
" Avenant ! Avenant ! " Il regarda
de tous côtés et ne vit personne ; il
crut rêver. Il continu sa promenade ; on le rappela :
" Avenant ! Avenant !
- Qui m'appelle ? " dit-il.
Cabriole, qui était fort petit, et
qui regardait de près l'eau, lui répliqua : " Ne me croyez jamais, si ce
n'est une carpe dorée que j'aperçois.
"
Aussitôt la grosse carpe paraît, et
lui dit : "Vous m'avez sauvé la vie dans le pré des Aliziers, où je serais
restée sans vous ; je vous ai promis de vous le revaloir. Tenez, cher Avenant,
voici la bague de la Belle aux Cheveux
d'Or."
Il se baissa et la prit dans la
gueule de ma commère la carpe, qu'il remercia mille fois.
Au lieu de retourner chez lui, il
fut droit au palais avec le petit Cabriole, qui était bien aise d'avoir fait
venir son maître au bord de l'eau. On
alla dire à la princesse qu'il demandait à la voir. "
Hélas ! dit-elle, le pauvre garçon,
il vient prendre congé de moi. Il a considéré que ce que je veux est
impossible, et il va le dire à son
maître. "
On fit entrer Avenant, qui lui présenta sa
bague et lui dit : " Madame la
princesse, voilà votre commandement fait ; vous plaît-il de recevoir le roi mon maître Pour époux ?
"Quand elle vit sa bague où il
ne manquait rien, elle resta si étonnée,
qu'elle croyait rêver. " Vraiment, dit-elle, gracieux Avenant, il faut que
vous soyez favorisé de quelque fée ; car naturellement cela n'est pas possible.
- Madame, dit-il, je n'en connais
aucune, mais j'avais bien envie de vous obéir.
- Puisque vous avez si bonne
volonté, continua-t-elle, il faut que vous me rendiez un autre service, sans
lequel je ne me marierai jamais. Il y a un prince, qui n'est pas éloigné d'ici,
appelé Galifron, lequel s'était mis dans l'esprit de m'épouser. Il me fit
déclarer son dessein avec des menaces épouvantables, que si je le refusais il
désolerait mon royaume. Mais jugez si je
pouvais l'accepter : c'est un géant qui est plus haut qu'une haute tour ; il
mange un homme comme un singe mange un marron. Quand il va à la campagne, il
porte dans ses poches des petits canons, dont il se sert de pistolets ; et,
lorsqu'il parle bien haut, ceux qui sont près de lui deviennent sourds. Je lui fis répondre que je ne voulais point me
marier, et qu'il m'excusât.
Depuis, il n'a cessé de me
persécuter; il tue tous mes sujets et, avant toute chose, il faut vous battre
contre lui et m'apporter sa tête. "
Avenant demeura un peu étourdi de
cette proposition. Il rêva quelque temps, puis il dit : " Eh bien, madame,
je combattrai Galifron. je crois que je serai vaincu ; mais je mourrai en homme
brave. "
La princesse resta bien étonnée :
elle lui dit mille choses pour
l'empêcher de faire cette entreprise. Cela ne servit à rien : il se retira pour aller chercher des armes et tout
ce qu'il lui fallait. Quand il eut ce qu'il voulait, il remit le petit Cabriole
dans son panier, monta sur son beau cheval, et fut dans le pays de Galifron. Il
demandait de ses nouvelles à ceux qu'il
rencontrait, et chacun lui disait que
c'était un vrai démon dont on n'osait approcher : Plus il entendait dire
cela, plus il avait Peur. Cabriole le rassurait, en lui disant :
" Mon cher maître, pendant que
vous vous battrez, j'irai lui mordre les jambes ; il baissera la tête pour me
chasser, et vous le tuerez. " Avenant admirait l'esprit du petit chien,
mais il savait assez que son secours ne suffirait pas.
Enfin, il arriva près du château de
Galifron. Tous les chemins étaient
couverts d'os et de carcasses d'hommes qu'il avait mangés ou mis en pièces. Il
ne l'attendit pas longtemps, qu'il le vit venir à travers un bois. Sa tête
dépassait les plus grands arbres, et il
chantait d'une voix épouvantable :
Où sont les petits enfants
Que je les croque à belles dents ?
Il m'en faut tant, tant et tant,
Que le monde n'est suffisant.
Aussitôt Avenant se mit à chanter
sur le même air ;
Approche : voici Avenant,
Qui t'arrachera les dents.
Bien qu'il ne soit pas des plus grands,
Pour te battre il est suffisant.
Les rimes n'étaient pas bien régulières mais il fit la chanson fort vite,
et c'est même un miracle qu'il ne la fît pas plus mal, car il avait
horriblement peur. Quand Galifron entendit ces paroles, il regarda de tous
côtés, et aperçut Avenant l'épée à la
main, qui lui dit deux ou trois injures pour l'irriter. Il n'en fallut pas tant
: il se mit dans une colère effroyable, et prenant une massue toute de fer, il
aurait assommé du premier coup le gentil
Avenant, sans un corbeau qui vint se mettre sur
le haut de sa tête, et avec son bec lui donna des coups si justes dans les yeux, qu'il les creva. Son
sang coulait sur son visage. Il était comme un désespéré, frappant de tous
côtés. Avenant l'évitait et lui portait
de grands coups d'épée qu'il enfonçait jusqu'à la garde, et qui lui faisaient mille blessures, par où il
perdit tant de sang qu'il tomba.
Aussitôt Avenant lui coupa la tête,
bien ravi d'avoir été si heureux ; et le corbeau, qui s'était perché sur un
arbre, lui dit :
" Je n'ai pas oublié le service
que vous me rendîtes en tuant l'aigle qui me poursuivait. Je vous promis de
m'en acquitter : je crois l'avoir fait aujourd'hui.
- C'est moi qui vous dois tout,
monsieur du Corbeau, répliqua Avenant ; je demeure votre serviteur. "
Il monta aussitôt à cheval, chargé
de l'épouvantable tête de Galifron. Quand il arriva dans la ville, tout le
monde le suivait et criait :
" Voici le brave Avenant qui vient de
tuer le monstre " ; de sorte que la princesse, qui entendit bien du bruit
et qui tremblait qu'on ne lui vînt
apprendre la mort d'Avenant, n'osait demander ce qui lui était arrivé ; mais elle vit entrer
Avenant avec la tête du
géant, qui ne cessa pas de lui faire encore
peur, bien qu'il n'y eût plus rien à craindre.
" Madame, lui dit-il, votre
ennemi est mort ; j'espère que vous ne
refuserez plus le roi mon maître ?
- Ah ! si fait, dit la Belle aux
Cheveux d'Or, je le refuserai si vous ne trouvez moyen, avant mon départ, de
m'apporter de l'eau de la grotte ténébreuse. Il y a proche d'ici une grotte
profonde qui a bien six lieues de tour. On trouve à l'entrée deux dragons qui
empêchent qu'on y entre. Ils ont du feu dans la gueule et dans les yeux. Puis,
lorsqu'on est dans la grotte, on trouve
un grand trou dans lequel il faut descendre : il est plein de crapauds, de
couleuvres et de serpents. Au fond de ce
trou, il y a une petite cave où coule la fontaine de beauté et de santé: c'est de cette eau que je veux
absolument. Tout ce qu'on en lave devient merveilleux : si l'on est belle, on
demeure toujours belle ; si l'on est laide, on devient belle ; si l'on est
jeune, on reste jeune ; si l'on est vieille, on devient jeune.
Vous jugez bien, Avenant, que je ne
quitterai pas mon royaume sans en emporter.
- Madame, lui dit-il, vous êtes si
belle que cette eau vous est bien
inutile ; mais je suis un malheureux ambassadeur dont vous voulez la mort : je vais aller chercher ce que vous
désirez, avec la certitude de n'en pouvoir revenir. "
La Belle aux Cheveux d'Or ne changea
point de dessein, et Avenant partit avec le petit chien Cabriole, pour aller à
la grotte ténébreuse chercher de l'eau
de beauté. Tous ceux qu'il rencontrait sur le chemin disaient : " C'est une pitié de voir un
garçon si aimable aller se perdre de gaieté de cœur ; il va seul à la grotte,
et quand irait-il accompagné de cent
braves, il n'en pourrait venir à bout. Pourquoi la princesse ne veut-elle que
des choses impossibles ? "
Il continuait de marcher, et ne
disait pas un mot ; mais il était bien triste.
Il arriva vers le haut d'une
montagne où il s'assit pour se reposer un peu, et il laissa paître son cheval
et courir Cabriole après des mouches. Il
savait que la grotte ténébreuse n'était pas loin de là, il regardait s'il ne la
verrait point. Enfin il aperçut un vilain rocher noir comme de l'encre, d'où
sortait une grosse fumée, et au bout d'un moment un des dragons, qui jetait du
feu par les yeux et par la gueule : il
avait le corps jaune et vert, des griffes et une longue queue qui faisait plus
de cent tours. Cabriole vit tout cela ; il ne savait où se cacher, tant il
avait peur.
Avenant, tout résolu de mourir, tira
son épée, descendit avec une fiole que
la Belle aux Cheveux d'Or lui avait donnée pour la remplir de l'eau de beauté.
Il dit à son chien Cabriole : " C'en est fait de moi ! je ne pourrai
jamais avoir de cette eau qui est gardée par des dragons. Quand je serai mort,
remplis la fiole de mon sang et porte-la
à la princesse, pour qu'elle voie ce qu'elle me coûte ; et puis va trouver le roi mon maître et conte-lui mon
malheur."
Comme il parlait ainsi, il entendit
qu'on appelait : " Avenant ! Avenant ! "
Il dit : " Qui m'appelle ?
" et il vit un hibou dans le trou d'un vieil arbre, qui lui dit : "
Vous m'avez retiré du filet des chasseurs
où j'étais pris, et vous m’avez sauvé la vie, je vous promis que je vous le
revaudrais : en voici le temps. Donnez-moi votre fiole : je sais tous les chemins de la grotte
ténébreuse ; je vais vous chercher de l'eau de beauté. "
Dame ! qui fut bien aise ? je vous
le laisse à penser. Avenant lui donna vite la fiole, et le hibou entra sans nul
empêchement dans la grotte. En moins d'un quart d'heure, il revint rapporter la
bouteille bien bouchée. Avenant fut ravi. Il le remercia de tout son cœur, et, remontant la montagne, il prit le chemin de
la ville bien joyeux.
Il alla droit au palais ; il
présenta la fiole à la Belle aux Cheveux d'Or, qui n'eut plus rien à dire :
elle remercia Avenant, et donna ordre à tout ce qu'il fallait pour partir ;
puis elle se mit en voyage avec lui.
Elle le trouvait bien aimable et lui disait quelquefois :
" Si vous aviez voulu, je vous
aurais fait roi, nous ne serions point partis de mon royaume. "
Mais il répondit : " Je ne
voudrais pas faire un si grand déplaisir à mon maître pour tous les royaumes de
la terre, quoique je vous trouve plus
belle que le soleil. "
Enfin ils arrivèrent à la grande ville du roi,
qui, sachant que la Belle aux Cheveux d'Or venait, alla au-devant d'elle et lui
fit les plus beaux présents du monde. Il
l'épousa avec tant de réjouissances que
l'on ne parlait d'autre chose. Mais la Belle aux Cheveux d'Or, qu'aimait
Avenant dans le fond de son cœur, n'était heureuse que quand elle le voyait, et le louait toujours. " Je ne
serais point venue sans Avenant,
dit-elle au roi. Il a fallu qu'il ait fait des choses impossibles pour mon service : vous lui devez
être obligé. Il m'a donné de l'eau de
beauté : je ne vieillirai jamais, je serai toujours belle. "
Les envieux qui écoutaient la reine
dirent au roi : " Vous n'êtes point
jaloux, et vous avez sujet de l'être. La reine aime si fort Avenant qu'elle en
perdit le boire et le manger. Elle ne fit que parler de lui et des obligations
que le roi lui avez données, comme si tel autre que vous auriez envoyé n'en eût
pas fait autant. "
Le roi dit : " Vraiment, je
m'en aperçois ; qu'on aille le mettre dans la tour avec les fers aux pieds et
aux mains."
On prit Avenant, et, pour sa
récompense d'avoir si bien servi le roi,
on l'enferma dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains. Il ne
voyait personne que le geôlier, qui lui jetait un morceau de pain noir par un trou, et de l'eau dans une écuelle de
terre. Pourtant son petit chien Cabriole ne le quittait point ; il le consolait
et venait lui dir toutes les nouvelles.
Quand la Belle aux Cheveux d'Or sut
sa disgrâce, elle se jeta aux pieds du roi, et, tout en pleurs, elle le pria de
faire sortir Avenant de prison. Mais plus elle le priait, plus il se fâchait,
songeant :
" C'est qu'elle l'aime ";
et il n'en voulut rien faire. Elle n'en parla plus ; elle était bien triste.
Le roi s'avisa qu'elle ne le trouvait
peut-être pas assez beau ; il eut envie
de se frotter le visage avec de l'eau de beauté, afin que la reine l'aimât plus qu'elle ne faisait. Cette
eau était dans une fiole sur le bord de
la cheminée de la chambre de la reine, elle l'avait mise là pour la regarder plus souvent ; mais une
de ses femmes de chambre, voulant tuer
une araignée avec un balai, jeta par malheur la fiole par terre, qui se cassa, et toute l'eau fut
perdue. Elle balaya vitement, et, ne sachant que faire, elle se souvint qu'elle
avait vu dans le cabinet du roi une
fiole toute semblable pleine d'eau claire comme était l'eau de beauté ; elle la
prit adroitement sans rien dire, et la porta sur la cheminée de la reine.
L'eau qui était dans le cabinet du
roi servait à faire mourir les princes et les grands seigneurs quand ils
étaient criminels ; au lieu de leur couper la tête ou de les pendre, on leur
frottait le visage de cette eau : ils s'endormaient, et ne se réveillaient
plus. Un soir donc, le roi prit la fiole et se frotta bien le visage, puis il
s'endormit et mourut. Le petit chien Cabriole l'apprit parmi les premiers et ne manqua pas d'aller le dire à
Avenant, qui lui dit d'aller trouver la
Belle aux Cheveux d'Or et de la faire souvenir du
pauvre prisonnier.
Cabriole se glissa doucement dans la presse ;
car il y avait grand bruit à la cour pour la mort du roi. Il dit à la reine :
" Madame, n'oubliez pas le pauvre Avenant. " Elle se souvint aussitôt
des peines qu'il avait souffert à cause d'elle et de sa grande fidélité. Elle
sortit sans parler à personne, et alla droit à la tour, où elle ôta elle-même
les fers des pieds et des mains d'Avenant. Et, lui mettant une couronne d'or
sur la tête et le manteau royal sur les épaules, elle lui dit : "Venez,
aimable Avenant, j vous fais roi et vous prends pour époux. "
Il se jeta à ses pieds et la
remercia. Chacun fut ravi de l'avoir pour
maître. Il se fit la plus belle noce du monde, et la Belle aux Cheveux d'Or vécut longtemps avec le bel Avenant,
tous deux heureux et satisfaits.
Si par hasard un malheureux
Te demande ton assistance,
Ne lui refuse point un secours
généreux.
Un bienfait tôt ou tard reçoit sa
récompense.
Quand Avenant, avec tant de bonté
Servati carpe et corbeau ; quand
jusqu'au hibou même,
Sans être rebuté de sa laideur extrême,
Il conservait la liberté !
Aurait-on jamais pu le croire,
Que ces animaux quelque jour
Le conduiraient au comble de la gloire,
Lorsqu'il voudrait du roi servir le
tendre amour ?
Malgré tous les attraits d'une beauté
charmante,
Qui commençait pour lui de sentir des
désirs,
Il conserve à son maître, étouffant ses
soupirs,
Une fidélité constante.
Toutefois, sans raison, il se voit
accusé :
Mais, quand à son bonheur il paraît
plus d'obstacle,
Le Ciel lui devait un miracle,
Qu'à la vertu jamais le Ciel n'a refusé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire