dimanche 24 août 2014

Histoire de Lutins


 

"Lutin" désigne des créatures de petite taille -infiniment plus petites que les nains-, aux mœurs joyeuses et malicieuse. Le terme "lutin", apparu en 1564, dérive de l'ancien français luitun, au 12ième siècle, dérivant lui-même du latin neptunus, dans une liste de démons datant du 7ième siècle.
Les "lutins" proprement dits sont de souche purement française, et plus particulièrement bretonne. Mais le nom est devenu un terme générique -comme "fée", "nain" ou "géant"- désignant des clans et des familles fort divers, faisant l'objet d'appellations et de descriptions différentes selon les régions. Ainsi, les fions de Bretagne vivent sur l'île de Batz, dans les grottes et les houles du littoral. Ils sont cousins des tréo-fall de l'île d'Ouessant et des fras de l'île d'Yeu. Dans les Alpes, le Jura et le canton de Vaud, en Suisse, les fantines, fouletots et ninou-nelous sont des lutins troglodytes qui vivent dans les trous de roches. Ils s'occupent plus particulièrement des vaches dans les alpages et aident les paysans. Mais si on leur manque de respect, ils tarissent le lait des vaches, dispersent le bétail ou égarent les voyageurs.
Dans les autres pays d'Europe, les lutins ont également des appellations spécifiques : on les nomme folletti en Italie, kwuelgeert et plageert en Flandre, sprites en Angleterre -ainsi, dans le nord de l'Angleterre, près des villages de Bowden et de Gateside, les cowlug sprites sont des esprits dotés de grandes oreilles qui les font ressembler à des vaches.


Lutins grégaires ou solitaires.

De même, il faut distinguer des lutins sauvages, vivant en liberté dans la nature, des lutins domestiques, ou lutins du foyer, désignés en Angleterre sous le terme de "hobgoblins". Parmi les lutins sauvages, il faut encore distinguer les lutins vivant de façon grégaire (trooping fairies), qui logent dans des lutinières souterraines aux murs torchis composé de glaise, de mousse et d'herbe parfumée, qui vont toujours par bandes nombreuses et animées, et sont vêtus de vert, et les lutins solitaires (solitary fairies), reconnaissables à leurs habits rouges.


Lutins domestiques.

La plupart des lutins sauvages se sont progressivement sédentarisés dans les maisons des hommes, notamment en Bretagne et en Grande-Bretagne, leurs contrées maternelles, devenant ainsi des lutins du foyer.
Ces lutins domestiques affectionnent par-dessus tout la bonne chaleur qui se dégage d'un feu de bois dans la cheminée. En Grande-Bretagne, on les appelle d'ailleurs hobgoblins ("lutin du foyer", hob désignant la plaque qui se trouve à côté de la cheminée).
Jean de La Fontaine fait allusion à ces lutins du foyer, qu'il appelle "follets" et qu'il situe "au Mogol" :

Il est au Mogol des follets
Qui font l'office des valets
Tiennent la maison propre, pnt soin de l'équipage,
Et quelquefois du jardinage.
Si vous touchez à leur ouvrage,
Vous gâtez tout.



Lutins bretons.

En Bretagne, les lutins sont chez eux, et mille témoignages attestent de leurs bons et loyaux services. G. Le Calvez, instituteur à Caulnes, explique : "Le lutin est le génie de la maison, de la ferme, génie bon ou mauvais, selon les procédés dont on use envers lui.
"Il est partout, au foyer, dans le grenier, le cellier, au four, au moulin, dans les grands coffres, du "Ty-koz" où l'on renferme le blé, sur les vieux bahuts, parmi les vieilles bassines de cuivre reluisantes."
Il est avéré que les lutins font de longues siestes durant le jour ; ils se tiennent alors au grenier ou dans le fenil des étables. Mais la nuit venue, lorsque tout le monde est couché, ils sortent de leur cachettes, accourent vers la pierre du foyer pour s'y réchauffer et y manger es restes du repas qu'on n'oublie jamais de leur abandonner, pelures de pommes de terre, fanes de carottes, jatte de lait, crêpe de sarrasin, parfois un peu de lard. Puis ils se mettent au travail, rangent les objets en désordre, lavent la vaisselle, balayent dans les coins, récurent les chaudrons, remplissent les brocs d'eau fraîche, en un mot prennent tout le soin possible de la maisonnée.
Ils empêchent aussi le lard de rancir et le lait de tourner, blutent la farine et glanent les épis aux champs à la suite des moissonneurs.
Les lutins aiment aussi à imiter les activités humaines, même si leurs effort ne débouchent sur aucun résultat. Marie Cocagn, vieille femme originaire de Roscoff, confia à Luzel dans la deuxième partie du 19ième siècle : "Un tailleur de ma connaissance m'a encore raconté qu'un jour qu'il était en tournée dans une ferme des environs de Saint-Pol-de-Léon, seul dans la maison comme il levait les mains à la hauteur des ses yeux pour enfiler son aiguille, il vit un lutin assis sur une poutre et qui faisait le même mouvement que lui. Il resta un moment immobile, saisi d'étonnement ; puis il jeta là le fil, aiguille et ciseaux et s'enfuit. Il avait tort d'avoir peur, car les lutins ne font de mal qu'à ceux qui leur en font d'abord."


Lutins à cheval.

Si les lutins familiers résident habituellement dans les fermes et les maisonnées, ils passent le plus clair de leur temps à l'écurie, où ils prennent grand soin des chevaux. Ils les soignent, les pansent, les étrillent et peignent soigneusement leurs crins, qu'il leur arrive de tresser comme des chevelures.
Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris au début du 13ième siècle, signale déjà que "dans les écuries apparaissent des lampes de cire desquelles semblent couler des gouttes de cire dans la crinière et dans le cou des chevaux; les crinières des chevaux sont soigneusement tressées." Un autre témoin raconte comment un palefrenier s'était assuré les services s'était assuré les services d'un lutins "qui, depuis 6 ans, avait pris soin de gouverner l'horloge et d'étriller les chevaux. Il s'acquittait de ces deux choses avec tout l'exactitude que l'on pouvait souhaiter. Je fus curieux un matin d'examiner ce manège : mon étonnement fut grand de voir courir l'étrille sur la croupe du cheval, sans être conduite par aucune mains visible..." G Le Calvez explique que "sa demeure de prédilection est l'écurie et le fenil au-dessus. C'est du fenil, par la baie pratiquée au-dessus du râtelier, que le lutin jette la nuit à ses chevaux favoris force brassées du foin le meilleur et le plus parfumé. Si le charretier est "bon garçon" (potr gentil), s'il aime ses chevaux et ne médit pas des lutins, il peut être tranquille le samedi soir quand il va chez le barbier entendre raconter des contes, ou le dimanche quand il s'attarde plus que de raison à l'auberge du bourg ou auprès de sa bonne amie : ses chevaux ne manqueront de rien ; ils auront tout à souhait ; le râtelier sera toujours garni de foin, la mangeoire, pleine d'avoine, l'auge, remplie d'eau bien claire, et le lendemain il trouvera ses chevaux étrillés et leur crin tressé."
Dans le Finistère, on pense que les lutins qui soignent les chevaux sont en réalité d'anciens valets de ferme qui, ayant négligé leur fonction de leur vivant, sont condamnés à venir les soigner après leur mort. Mais on admet aussi que, la plupart du temps, les esprits des étables sont non revenants mais véritables lutins.


Lutins lutteurs.

Collin de Plancy fait dériver "lutin" de "lutte" : "Les lutins s'appelaient ainsi parce qu'ils prenaient quelquefois plaisir ç lutter avec les hommes. Il y en avait un à Thermesse qui se battait avec tous ceux qui arrivaient dans cette ville. Au reste, les lutins ne mettent ni dureté ni violence dans tous leurs jeux."
Mais "lutin" peut également venir du vieux français hutin, qui signifie "entêté, querelleur". Ainsi, le roi de France Louis X fut surnommé "le Hutin". Issu de la même étymologie, l'"utinet" désigne le marteau du tonnelier. "Le hutin" aurait donné, par contraction, "l'hutin" puis "lutin".
De nombreux témoignages attestent en effet la force démesurée des lutins, bien peu en rapport avec leur minuscule taille. Un fabliau allemand du 13ième siècle raconte ainsi : "Un Norvégien accompagné d'un ours s'arrête chez un paysan pour y passer la nuit, mais la demeure est hantée par un lutin ainsi décrit : il mesure trois empans, est d'une force extraordinaire, porte un bonnet rouge et a l'habitude de mettre sens dessus dessous meubles et ustensiles. Au milieu de la nuit, il sort de sa cachette et s'approche du feu pour s'y chauffer, aperçoit l'ours endormi près du foyer, le frappe, et un rude combat s'ensuit. Au matin, le lutin vient déclarer au paysan qu'il s'en va et ne reviendra pas tant que le gros chat (l'ours) sera dans la maison."


Lutins lutineurs.

"Lutin" a donné aussi le verbe "lutiner", "taquiner, tourmenter comme ferait un lutin". Certains de ces esprits "lutinent la chevelure des filles" en mettant à profit leur sommeil pour emmêler leurs cheveux et leur faire des nœuds, que l'on appelle pour cette raison des "échelles de lutins". Ils ont aussi pour mauvaise habitude de cacher dans des lieux impossibles les objets les plus usuels. Ainsi, lorsqu'on égare ses clés, il faut toujours commencer par les chercher dans des endroits improbables, comme la boîte à sel, le panier à linge sale ou la marmite de la cuisine. C'est là que le lutin aura trouvé malin de les dissimuler.
Infiniment taquins et facétieux, les lutins commettent mille farces de plus ou moins bon goût. Un témoignage du 19ième siècle décrit ainsi les tours d'un lutin particulièrement tenace : "Sans être méchant , il se permettait bien des malices et lutinait surtout une vieille femme qui, tous les hivers, gardait seule le logis en l'absence de ses maîtres. Quand la vieille s'endormait au foyer, en filant sa quenouille, le lutin roulait de grosses boules dans la pièce supérieure, et la réveillait par la peur du tonnerre, qu'elle redoutait beaucoup ; d'autres fois, il brouillait son fil, poussait au feu son fuseau, flambait sa filasse à la chandelle de résine, ou mettait force sel dans sa soupe au lait ; d'autres fois encore, il dérangeait sa coiffe à pignon, nouait ses cheveux, ou lui traçait au charbon de belles moustaches noires ; le malicieux follet se permit même un soir de lui rire au nez en lui passant au cou un grand trépieds de fer."
Un tel acharnement peut avoir de quoi laisser ; tellement que des victimes des agissements des lutins ont vu en eux rien moins que des démons. Collin de Plancy dit ainsi : "Les lutins sont des démons qui ont plus de malice que de méchanceté. Ils se plaisent à tourmenter les gens et se contentent de faire plus de peur que de mal. Cardan parle d'un de ses amis qui, couchant dans une chambre que hantaient les lutins, sentir une mains, froide et molle comme du coton, passer sur son cou et son visage, et chercher à lui ouvrir la bouche. Il se garda bien de bâiller ; mais, s'éveillant en sursaut, il entendit de grand éclats de rire, sans rien voir autour de lui." Notre auteur précise qu'après avoir commis leurs niches et leurs farces, les joyeux drilles se rendent nuitamment dans les maisons pour y "buffeter le bon vin".


Lutins coquins.

Le verbe "lutiner", selon le dictionnaire Le robert, signifie non seulement "taquiner" maus aussi "harceler une femme de petites privautés par manière de plaisanterie", comme le rappelle le fameux proverbe :
Ou sont les fillettes et bon vin
C'est là que hante le lutin.

Ainsi, parmi les lutins lutineurs de donzelles, il faut citer certains lutins italiens tels que le barabao, lutin libertin et paillard de Venise qui se métamorphose en fil afin de se glisser sans être vu dans le décolleté des dames avant de s'exclamer à tue-tête : "Ah, les beaux tétons à tâter!", ou se dissimule au fond des bidets afin de mieux observer le derrière des dames ; le massariol, lutin coquin et libidineux vivant en Italie du Nord, "petit fermier" qui se loue l'été dans les fermes pour les moissons et les fenaisons et qui la nuit se métamorphose en culotte, en soutien-gorge ou en gant de toilette pour caresser les filles de ferme endormies et leur sucer les tétins -c'est là le seul salaire qu'il réclame, ou le linchetto, lutin pervers de Toscane qui inspire des rêves libidineux aux femmes et rend impuissant les hommes. Pour éloigner ce redoutable empêcheur de s'aimer en rond, les belles de Toscane connaissent la parade : lorsqu'elles accueillent leur bien-aimé dans leur lit, elles prennent soin, avant toute caresse, d'arracher l'un de leurs poils pubiens, long et frisé, qu'elles tendent au linchetto en exigeant qu'il le redresse avant le matin. Le temps que le lutin essaie de mener à bien cette tâche impossible, les amants peuvent donner libre cours au plaisir de leurs sens.

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