Sawitri.
Au pays de Madras, sur
la côte de Coromandel, le roi espérait qu’un fils
lui soit envoyé par les dieux. Chaque matin, chaque
midi, chaque soir, il priait et l’objet de ses
prières était à chaque fois le même. Un fils !
Il désirait de toute ses forces, de toute son
âme : un fils ! La déesse Sawitri le prit en
pitié et lui promit… une fille.
Elle vint au monde
au bout du terme et son père l’appela Sawitri pour
honorer celle qui avait su combler son cœur de
père. Sawitri grandissait en sagesse et en beauté. Son
père n’avait d’yeux que pour cette fleur
subtile de son jardin. Il attendait avec grande
impatience que quelque riche parti vienne la demander en
mariage. Le temps passait et personne ne se présentait.
Un matin il l’appela et lui dit :
- " Puisque personne ne
vient te choisir, va dans le bois sacré et choisis
toi-même un époux. "
Sawitri prit place dans
la voiture d’or et s’en fut au bois sacré.
C’était la fin de l’été et dans la tiédeur
de la soirée, le roi était en conversation avec son ami
Naradhda, un saint voyant. Au loin, ils entendirent
bientôt le roulement des roues de la voiture. Il ne
fallut que peu de temps pour que Sawitri se présente
devant les deux hommes. En la voyant si belle, Naradha ne
put s’empêcher de demander au roi.
-"Comment se
fait-il que ta fille soit encore sans
époux ? "
-"Je l’ai
justement envoyée aujourd’hui au bois sacré afin
qu’elle s’en trouve un. Raconte-nous Sawitri.
As-tu trouvé ce que tu cherchais ? "
La fille s’inclina
respectueusement et se mit à parler :
-" Oui, père.
Dans le bois sacré, j’ai rencontré le roi
Diumazena, son épouse et leur fils. Le roi est devenu
aveugle lorsque des ennemis lui ravirent son royaume. Il
a trouvé refuge dans le bois sacré. C’est son fils
Satiawan que j’ai choisi pour époux. "
Le père était tout
heureux et des larmes de joie perlaient dans ses yeux.
Narahda montrait une toute autre figure. Son visage à
lui était empli de tristesse et il dit :
" Hélas ! Ma belle enfant, en quel
malheur t’es-tu jetée sans le
savoir ? "
-" Pourquoi
dis-tu cela ? Lui aurait-on menti au sujet de cette
famille ? " demanda le roi au sage voyant.
-" Tout est
vrai. Hélas ! Le père est un sage. La mère est
bonne. Le fils est intelligent, bon, hardi, sain,
chevaleresque… "
-" Mais
alors, où est le problème, alors ? "
-" Que le ciel me
vienne en aide, mon roi car je me dois de te révéler un
bien lourd secret. Dans une année jour pour jours,
Satiawan va mourir. "
Le silence se fit
lourd, pesant. Au bout d’un temps bien long, le roi
regarda sa fille et lui dit doucement :
" Ma fille, il te faut choisir un autre
époux. "
-" Non, mon
père, qu’il vive peu ou longtemps, mon cœur
est donné et ce qui est donné, ne peut être
repris. "
-" Hélas !
Belle enfant, comme tu es à chérir, comme tu es à
aimer ! " s’écria Naradha.
-" Alors,
prends celui que tu dois ! " dit le roi.
Le lendemain, le roi et
sa fille se rendirent à la hutte de Diumazena dans le
bois sacré.
-" Comment ?
s’étonna celui-ci. Comment mon fils pauvre et sans
royaume peut-il être désirable pour ta
fille ? "
-" Elle
l’a choisi, dit le roi. Il n’y a rien
d’autre à ajouter. "
Le mariage fut
célébré et dès la fin de la cérémonie, Sawitri
troqua ses somptueux vêtements brodés d’or pour
une robe faite d’une écorce d’arbre. A partir
de ce jour, elle vécut dans le bois sacré en compagnie
de son époux et de ses beaux-parents. Chaque jour, elle
se faisait aimer un peu plus de ceux qui
l’approchaient. Tout le monde était très attentif
à deviner ses moindres désirs. Elle était si bonne,
toujours souriante bien que son esprit soit occupé par
les paroles de Narahda. La nuit, lorsque tout le monde
dormait, elle veillait sur Satiawan avec amour.
Mais le temps est un
voleur qui vole le temps aux gens qui s’aiment et
l’année de bonheur de Sawitri touchait à sa fin.
Il ne restait plus que quatre jours. Dans quatre jours,
sans qu’il le sache, Satiawan allait mourir. Sawitri
résolut de toucher le ciel et fit un vœu.
Durant
ces quatre jours et ces quatre nuits, elle allait rester
immobile à la même place sous un grand arbre
suffisamment éloignée de son tronc pour qu’elle ne
puisse le toucher. Elle avait les bras le long du corps
et le regard fixe. Ses beaux-parents étaient inquiets.
Ils la regardaient sans oser lui parler, sans comprendre
son geste. N’y tenant plus, ils lui
demandèrent :
-" Que
fais-tu là ? Pourquoi restes-tu
ainsi ? "
-" J’ai
fait un vœu. Ne m’en demandez pas
plus. "
-" Dis-nous au
moins combien de temps tu vas rester
ainsi ! "
-" Quatre
jours et quatre nuits ! "
-" Quatre
jours ! Mais c’est un vœu bien trop lourd.
Personne ne peut rester immobile sans manger, sans boire
et sans dormir ! "
Elle ne répondit pas
et resta immobile tout le jour. La nuit vint sans que
jamais elle ne ferme les yeux. Le vent essayait de lui
faire voler ses vêtements, elle ne fit aucun geste pour
les retenir. Il redoubla ses efforts et parvint à lui
arracher sa robe. Elle se trouva nue dans la fraîcheur
de la nuit.
Les quatre jours et les
quatre nuits touchèrent leur sa fin.
-" Tu peux
manger maintenant. Le temps est venu. " dirent
ses beaux-parents.
-" Je ne
mangerai que si mon vœu s’accomplit. Si tel
n’est pas le cas, jamais plus je ne
mangerai ! "
Satiawan se préparait
pour aller au travail, dans la forêt. Il chargea sa
hache sur son épaule.
-" Je
t’en supplie, ne pars pas seul ! implora
Sawitri. Emmène-moi avec toi ! "
-" Comment le
pourrais-tu ? Voilà quatre jours et quatre nuits
que tu n’as ni mangé ni dormi. "
-" Je ne suis
pas fatiguée et n’ai nulle faim. Permets-moi de
t’accompagner. "
-" Si tel est
ton désir, je ne peux que m’incliner mais
j’aimerais que tu demandes aussi à mes parents afin
qu’ils ne pussent me le reprocher par la
suite. "
Sawitri rejoignit
Diumazena et lui dit :
-" Je
souhaite aller dans la forêt avec mon époux. Je ne
pourrais supporter de rester éloignée de lui
aujourd’hui "
Diumazena regarda la
jeune femme et entendit derrière ses paroles leur cri
déchirant.
-" Écoute
ton cœur, ma fille et fais ce qu’il
t’ordonne ! "
Les époux
s’engagèrent vers le cœur de la forêt, au
lieu où Satiawan allait couper son bois. Ils se tenaient
par la main comme tous les amoureux du monde. L’air
était parfumé de mille senteurs. Les arbres ondulaient
doucement sous les caresses du vent. Les oiseaux
chantaient des chansons de joie. Ils s’en allaient
vers leur destin…
Arrivé à la
clairière, Sawitri put s’asseoir et se mit à
penser. Au bout de peu de temps Satiawan vient auprès
d’elle.
-" Je ne sais
ce qui m’arrive. Ma tête me fait souffrir. On
dirait que des milliers d’aiguilles me piquent de
toutes parts. Ma poitrine brûle comme du feu. Je vais me
reposer un peu auprès de toi. " Il
s’assit, posa sa tête sur ses genoux et ferma les
yeux. Il ne fut pas long à s’endormir. Une grande
figure enveloppée d’un manteau rouge sang apparu.
Elle tenait une grosse corde à la main. Sawitri se leva
d’un bond agile en ayant pris soin de poser la tête
de son aimé sur une touffe de mousse. Les mains jointes,
elle se dirigea vers l’inconnu :
"
Qui es-tu étranger ? Rien en toi ne m’indique
que tu es un mortel. Je suis certaine que tu viens du
ciel. "
" Parce que
tu es pure, Sawitri, je te répondrai. Je suis Jama,
prince de la mort. Je suis venu pour emmener ton époux
après l’avoir ligoté. " Tout en parlant,
il s’était approché de Satiawan, le saisit et pris
son âme. A l’aide de la corde, il la ficela et
l’emmena. Satiawan gisait sans vie. Le spectacle
était horrible.
Chancelante, Sawitri
suivit Jama.
-" Que
fais-tu ? Rentre chez toi et prépare le cercueil à
ton époux. "
-" Là où va
mon époux, je vais avec lui. "
Jama
s’arrêta :
-" Fais un
vœu. Tout te sera accordé sauf cette
vie ! "
-" Rends la
vue à mon beau-père ! "
-" D’accord.
Va-t’en à présent ! "
Mais la jeune femme
n’avait aucune envie de partir.
-" Fais un
autre vœu puis rentre chez toi ! "
-" Rends son
royaume à mon beau-père ! "
-" D’accord.
Va-t’en à présent ! "
Elle le suivait
toujours bien que ses jambes ne la supportent plus.
-" Fais un
troisième vœu puis rentre chez
toi ! "
-" Donne un
fils à mon père ! "
-" D’accord.
Va-t’en à présent ! "
Sawitri tomba sur les
genoux. Elle était en nage et sa vue se brouillait un
peu. Elle continua à avancer en rampant.
-" Fais un
quatrième vœu puis rentre chez
toi ! "
" Donne-moi
un fils ! "
-" Accordé.
Mais pars à présent ! "
Sawitri poursuivait sa
route. Ses genoux laissaient des traces de sang sur le
sol. Sans qu’elle ne parvienne à les retenir, des
gémissements fusèrent de sa gorge.
-" Fais
n’importe quel vœu puis rentre chez
toi ! "
-" Rends la
vie à Satiawan ! "
-" Accordé ".
Jama délia la corde et
disparut comme il était venu.
Elle retourna comme
elle le put vers l’endroit où se trouvait le corps
de Satiawan. Elle prit sa tête et la posa délicatement
sur ses genoux. Les couleurs revinrent peu à peu sur ce
visage tant aimé.
-" Où
suis-je ? Où est l’homme en rouge ? Ai-je
fait un cauchemar ? "
Elle l’embrassa et
lui dit :
-" Ne demande
rien maintenant. Demain, je te dirai tout. La nuit est
belle. Il faut dormir maintenant. "
-" La nuit
est terrible dans la forêt. Partons. "
-" Mais nous
ne pourrons trouver notre chemin. Attendons jusqu’au
matin ! "
Mais Satiawan ne
voulait pas attendre. Ils se soutinrent l’un
l’autre et cherchèrent le chemin vers la maison.
Pendant ce temps,
Diumazena avait recouvré la vue. Il attendait ses
enfants sur le seuil de la porte et s’impatientait
qu’ils fussent si longs à rentrer. Dès qu’ils
parvinrent près de la hutte, on alluma un grand feu. Et
tous prirent place.
-" Mes
enfants, il s’est passé quelque chose. Nous sommes
entourés d’esprits bienfaisants. Sawitri, tu dois
savoir, toi. "
Alors Sawitri se mit à
parler et raconta tout ce qui s’était passé depuis
une année. Déjà le jour se levait. Un matin lumineux
resplendissait. Des messagers arrivèrent bientôt
auprès du roi Diumazena. " Roi, ton royaume
t’est rendu. L’usurpateur a été défait par
ses propres troupes. Ton peuple t’attend. Rentre au
pays. "
-" Tout
s’accomplit, dit Sawitri, et ce qui ne l’est
pas encore, le sera. " Elle se leva et
rejoignit son époux dans leur cabane. Nul ne sait ce qui
se passa par la suite. Nul ne sait mais le monde continue
sa course…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire