mardi 1 juillet 2014

Ils ont volé mon enfance





Chers amis .

je vous offre  l'avant-propos et le premier chapitre de mon dernier livre que vous pouvez trouver dans les fnac, les librairies, sur internet, pour vous donner envie d'en savoir plus et surtout pour que ce genre d'histoire disparaisse un jour de la vie de milliers d'enfants qui en sont victimes. Que les adultes réfléchissent avant de briser un enfant   qui trainera ce traumatisme gravé au fer rouge au plus profond de son être, toute sa vie.

Partout dans le monde, ces histoires d’enfants martyrisés, qui n’intéressent personne, se répètent. Et pourtant, chaque jour, ils vivent de véritables cauchemars, mais luttent de toutes leurs forces pour devenir quelqu’un. Marie est l’une de ces petites filles torturée et abusée sexuellement par l’amant de sa mère, une prostituée qui l’a mise au monde à l’âge de dix-sept ans, et qui n’a jamais su lui donner d’amour maternel.
L’histoire de Marie est malheureusement une histoire vécue par des milliers de petites filles, qui deviennent des femmes beaucoup plus tôt qu’elle ne le devrait. Elles subissent jour après jour l’inceste de la part de la personne qui représente bien souvent l’autorité au sein du foyer. Celles à qui l’on demande le plus grand silence autour de ces actes sordides, pour éviter soi-disant les représailles. Mais jamais le silence n’a protégé des coups qui pleuvent comme une pluie de grêlons.
Le moindre écart engendre toujours de douloureuses sanctions. Les coups sont assénés sur le corps, le visage, sans se préoccuper de leur gravité et de la souffrance physique et morale qu’ils entraînent.
Marie est l’une de ces femmes à qui l’on a volé son innocence et son enfance, fait de sa vie un enfer sans que personne ne vienne à son secours. Ni les services sociaux, ni l’Éducation nationale, ni le voisinage ; elle grandit comme une recluse, dans la maison de l’horreur, jusqu’au jour où elle trouve au fond d’elle, la force d’échapper à ce massacre. Malgré, cette vie cauchemardesque, elle réussit, grâce à Simone qui l’entoure de tout son amour, et plus tard son ami Maxime, qui deviendra son mari, à se reconstruire et mener une vie normale.
Ce livre est dédié à toutes les victimes du sadisme des adultes, qui vivent dans l’angoisse, emmurées dans ce silence qui les tue peu à peu. Marie a voulu exorciser les cauchemars qui la hantaient jour et nuit depuis ce fameux soir, alors qu’elle n’avait que neuf ans. Elle a voulu en finir une fois pour toutes avec cette enfance violée, cette vie brisée en pensant aux enfants qui sont battus et abîmés, pour qu’ils ne restent pas enfermés dans cette triste solitude, et les amener à trouver cette force au fond d’eux pour briser ce monde du silence qui les entoure et oser dénoncer les outrages qui leur sont faits.
Marie est ce bel exemple de petite fille. Elle a réussi à se reconstruire avec l’aide et l’incroyable patience de son mari Maxime, et à mener cette vie dont toutes les femmes rêvent : fonder un foyer, avoir des enfants, qu’elle aimerait plus que tout au monde.
  



Chapitre I


Je suis arrivée par un beau matin de décembre assez frisquet. Ma mère n’avait alors que dix-sept ans, et j’étais le fruit d’une aventure sans lendemain. Je compris très vite que je n’étais pas une enfant désirée. Dès que je sus marcher et qu’un visiteur se présentait, je devais me mettre dans le placard sous l’escalier et surtout ne pas faire de bruit pour ne pas attirer l’attention. Bien souvent, dans ce noir qui me faisait très peur, serrant contre moi ma poupée de chiffon, je finissais par m’endormir.
Quand je grandis, et que, comme tous les enfants du village, je devais aller à l’école, je ne parlais pas. Je n’avais pas de camarade, je vivais avec cette cruelle impression que personne ne me voyait. J’avais l’habitude d’être seule, mais quand je regardais toutes ces petites filles qui jouaient, riaient, couraient, chantaient, j’avais une folle envie de me mêler à leurs jeux, mais la peur d’être rejetée me faisait rester dans mon coin.
J’étais cette petite fille qui pleurait trop souvent à cause de ce que je subissais chaque jour, le manque d’amour d’une mère qui ne me regardait qu’à peine, le cachot sans l’avoir mérité et les coups qui pleuvaient sur mon pauvre petit corps meurtri. J’étais la plus petite, la plus fluette de la classe, l’institutrice me plaça au premier rang juste devant l’estrade de son bureau. Je ne venais pas à l’école tous les jours, mais il me semblait déjà que cela ne dérangeait personne.
Je ne savais pas lire aussi bien que les autres élèves, ce qui me valut souvent d’être traitée d’ignorante. Un matin, cette institutrice plate et sèche qui ne savait pas ce que je vivais au quotidien, me demanda, d’aller au tableau et de copier la dictée. Je me mis à pleurer, j’avais honte de dire que je ne savais pas écrire, je ne savais que dessiner les histoires que cette femme racontait au ralenti. Toute la classe se moquait de moi, j’avais envie de m’enfuir, alors qu’elle me tirait l’oreille en me traitant d’âne, de cancre, de bonne à rien. Je marchais sur la pointe des pieds, grimaçant de douleur, puis je devenais hermétique à ses hurlements.
J’avais l’habitude quand j’étais malmenée de me mettre en boule comme un hérisson et d’attendre que l’orage passe. Cette défense passive attisait la rage de l’institutrice, ce qui la faisait crier encore plus fort en m’empoignant par les épaules comme si elle voulait me jeter dehors.
Je me retrouvais régulièrement coiffée de ce drôle de chapeau, à oreilles pointues, qui faisait rire toute la classe, qui devait sans doute trouver cela rigolo, mais pour moi c’était une brimade de plus qui me saignait le cœur. Une offense profonde qu’ils ne comprenaient pas.
Alors qu’elle me hurlait dessus, j’entendais dans mon esprit confus les élèves ricaner, je les voyais me montrer du doigt comme si j’étais une bête de foire, se moquer de moi jusqu’à ce que j’éclate en sanglots, tremblant de peur. Je compris que, comme Serge le faisait, elle ne cherchait qu’à m’humilier.
Je n’aimais pas beaucoup l’école et, certains jours, elle m’apparaissait comme une monstruosité destinée à ennuyer les enfants. Je détestais cette femme qui me faisait faire des choses que je ne savais pas faire, ou que je ne pouvais pas faire. Elle ne me donnait pas envie de changer et d’apprendre. Je me posais quantité de questions sur cette vie qui m’était offerte comme un cadeau empoisonné.
Sur mon visage, personne ne percevait d’émotion, j’aurais tant voulu disparaître sans faire de bruit... Tourner cette page où il n’y avait aucune image qui me faisait sourire. Pourtant, j’aurais voulu connaître, comme tous les enfants de mon âge, le plaisir de rire, courir, chanter sans me faire gronder. M’amuser sans être maltraitée, mais je savais que pour moi, cette vie de rêve était sans espoir.
Parfois la colère qui me dominait était si présente que je devenais méchante. Pourquoi ma mère, qui n’était encore qu’une enfant elle-même, ne me comprenait pas ? Pourquoi déchaînait-elle toute cette haine contre moi ? Quand j’avais trop mal, je la suppliais d’arrêter toute cette violence qui me faisait tant souffrir, mais elle restait sourde à mes appels. Je ne garderai de mon enfance, que cet horrible passé d’enfant maltraitée, d’enfant perdue dans ses malheurs, comme un oiseau tombé du nid, que sa mère ne reconnaît plus.
En grandissant, je me demandais pourquoi les adultes se servaient de leurs pouvoirs à outrance. Pourquoi étais-je aussi souvent battue, sans que personne ne me donne ma chance ? Pourquoi personne ne se rendait compte que j’étais sans défense ? Pourquoi devais-je vivre tant de souffrances, d’humiliations ?
J’avais neuf ans lorsque l’un des visiteurs de ma mère posa ses sales mains sur moi. Il m’empêchât de crier en plaquant une main sur ma bouche, tandis que son autre main se dirigeait vers les parties les plus intimes de mon anatomie. Je n’étais qu’un ange, à qui ce sale individu venait de couper les ailes.
J’étais en larmes, mais ne vis aucun remords sur son visage rayonnant. J’aurais voulu à ce moment précis, que ce misérable, qui me volait ma vie, soit happé par le diable lui-même et qu’il le fasse quitter cette terre, où il n’avait plus sa place. D’un ton qui me glaça les os et le sang, il me dit :
— Tu n’es qu’un minuscule grain de sable sur cette terre, quelque chose d’insignifiant.
Je n’avais plus envie de voir ces deux visages qui ricanaient de me voir pleurer. Je me cachais dans mon refuge sous l’escalier et pleurais toutes les larmes de mon corps, ce qui venait de m’arriver me suivrait tout au long de mon existence. Je voulais mourir, mais je me demandais si même avant cette ultime dernière minute, ma mère me donnerait ce que j’attendais depuis toujours, un simple baiser pour me dire qu’elle m’aimait.
Ce sale individu, dont j’avais l’image en horreur, devint un client régulier de ma mère et, à chacune de ses visites, je devais subir ses avances sans broncher, jusqu’à ce que j’aie l’âge de lui dire que j’avais intention de dénoncer ses agissements, pour qu’il me laisse enfin tranquille. Mais le mal était en moi, et je savais que je le porterais comme une croix toute ma vie. Rien ne me redonnerait mon enfance volée, et personne ne saurait réparer ce qui m’avait été fait.
Je savais, que je ne devais raconter à personne ce que je vivais à la maison, les représailles auraient sans doute été terribles. Les souffrances qui m’étaient infligées étaient entourées d’un interdit. Je n’avais donc pas d’autres choix que de garder, au fond de moi, toutes ces douleurs qui m’empêchaient de sourire à la vie. Je savais que même si je mettais toute mon énergie à vouloir oublier ce que je vivais, rien ne pourrait effacer une telle tragédie de ma mémoire.
Je vivais dans ce silence qui m’engourdissait et me paralysait. C’était toujours le même rituel, le placard sous l’escalier, les coups, les insultes. J’étais devenue au fil des ans d’une fragilité effrayante, et Serge en profitait. Entre ses grosses mains, j’étais cet être frêle, fragile et rempli de confiance qui aurait voulu hurler son mal-être à la face du monde, et dénoncer ce geste immonde. Dans mon esprit la colère grondait, comme en plein cœur d’un violent orage. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je savais que je n’avais pas le choix, et je subissais le pire. J’étais, par la force des choses, obligée d’accepter l’inacceptable, l’inimaginable, l’intolérable pour une enfant de neuf ans à peine et me taire.
Le premier réveil après une telle souffrance est un réveil douloureux. L’esprit encore rempli de cet acte monstrueux, on se rend compte que plus rien ne sera comme avant, que notre innocence est brisée à tout jamais et que notre enfance bafouée, déchiquetée, ne pourra jamais être recollée.
Plus tard, seul l’alcool me permettait d’oublier pour quelques heures toutes ces horreurs. Mais je compris que ce n’était pas la solution. J’étais alors résolue à confier toute cette souffrance à un psychiatre qui pourrait m’aider à trouver enfin le bonheur.
Je choisis donc de m’adresser à une femme qui, je pensais, comprendrait mieux ce que j’avais traversé qu’un homme. Je lui racontais toute mon histoire, bien décidée à faire rentrer la lumière dans ce cœur qui broyait du noir depuis si longtemps. Je me sentis tout à coup plus légère, comme si le vent de la colère balayait toutes ces années, nettoyait de fond en comble cette mémoire enveloppée d’un air empoisonné.
Si je voulais me reconstruire, je n’avais pas le choix, même si ce déballage me coûtait beaucoup plus que je ne l’avais imaginé, il fallait en passer par là. Si Je voulais avoir des enfants, être une bonne mère, et ne plus traîner cette douloureuse enfance comme un boulet.
Je savais qu’il y avait de par le monde beaucoup d’histoires d’enfants maltraités, qui ressemblaient à la mienne, et que parmi tous ces enfants à qui un adulte a volé l’innocence, certains étaient parvenus à force de patience, de sacrifices et de volonté à s’en sortir. Je voulais faire partie de ces enfants-là.
Je sais qu’il est difficile pour des gens ayant vécu une enfance, digne d’être appelée ainsi, de comprendre ce que peuvent vivre des enfants dont le moindre geste, le moindre sourire est prétexte à recevoir des coups. Je sais qu’il est difficile d’imaginer, quand on a eu un père digne d’être appelé « papa », que certains hommes puissent prendre des petites filles pour des femmes.
Je sais aussi qu’il est impensable que certaines mamans aiment si peu leurs enfants, qu’elles sont prêtes à toutes les bassesses pour les faire souffrir. Je sais que tous ces gens se demanderont comment ces enfants ayant subi de tels sévices survivent et finissent par en triompher.
La réponse est simple, quand ces petites filles grandissent et qu’elles deviennent des femmes, qu’elles se trouvent entourées d’amour, par un homme qui les respecte et surtout qui les écoute, elles finissent par prendre le dessus. Ses mains, qui se posent sur elles si délicatement, deviennent alors ce réconfort si longtemps espéré. Elles laissent alors derrière elles cette nuée de couleurs sombres, ces montagnes d’idées noires, pour ne sentir que cette douceur qui remplace la rage.
Au début, elles regardent ces hommes avec des yeux vides d’émotion puis, peu à peu, le calme s’installe dans leur esprit et leur corps tout entier pour devenir avide de tendresse.
Elles les écoutent religieusement leur parler de projets d’avenir, leur dire des mots si beaux et si rassurants qu’elles seraient prêtes à les suivre au bout du monde. Des mots forts, capables de briser les lourdes chaînes qui les entravent. Des mots remplis d’amour qui effacent les rides laissées par des sourires forcés.
Des mots tendres qui fissurent peu à peu la chape de haine qui entourait leur cœur. Blotties au creux de l’épaule de ces hommes qui leur apportent ce réconfort tant attendu, elles laissent couler en silence ces larmes qui sans cesse lavent les sévices et les affronts qu’elles ont endurés.
Puis elles se laissent surprendre par de longs silences, comme si un ange passait et écartait d’elles ces mauvais regards comme des menaces, remplis de haine gratuite qui se déchaînait sur elles en les laissant fracassées, en mille morceaux.
Ces hommes réussissent, à force d’amour et de patience, à les sortir de cet enfer, et font briller au-dessus d’elles ce soleil qui leur a tant manqué. La porte du bonheur s’ouvre enfin en jetant un voile épais sur toutes ces souffrances, donnant libre cours à une douce folie. Découvrant que finalement l’amour et la haine sont des sentiments aussi puissants l’un que l’autre et peuvent faire autant de mal.
Pendant toute mon enfance, j’ai souhaité que chaque cri devienne un profond silence. L’un de ces silences qui vous enferme au plus profond des ténèbres, pour ne jamais en sortir. J’ai souhaité que ma mère m’accorde un simple regard, pour me montrer que j’existais. Je ne demandais rien de plus qu’un peu d’attention, un peu de réconfort quand dans mon cœur tout n’était que glace.
Toutes ces nuits à pleurer dans mon coin, souhaitant vivre dans un monde meilleur. Toutes ces nuits de cauchemar, où je ne pouvais m’abandonner à rêver, car je n’en avais pas le droit. J’enviais, malgré moi, les filles de ma classe, qui vivaient ces moments de grands bonheurs, serrées dans les bras aimants de leurs parents, la joie de recevoir une caresse sur leurs joues rosées, goûter tous ces instants de joie en recevant un cadeau.
Moi, je restais blottie dans un coin de ma chambre, avec cette peur rivée au ventre, que ce sadique n’ouvre ma porte et ne m’oblige à satisfaire tous ces caprices. Je tremblais, il faisait froid dans mon cœur comme dans ma vie.
Je passais de longues heures à me demander ce que je faisais sur cette terre où je n’intéressais personne. J’étais seule, enfouie dans cette misère qui m’entourait, me sentant à chaque instant plus menacée. Des envies de vengeance mûrissaient en moi,  meurtrières. Les larmes me brûlaient les yeux, mais ne suffisaient pas à noyer ma douleur ni ces affreux souvenirs. J’aurais fait n’importe quoi pour vivre un seul instant de tendresse, pour combler ce manque qui meurtrissait mon âme et me faisait atrocement souffrir.
Je sentais la main de cette mère qui ne me parlait pas, ébouriffer mes cheveux, mais elle restait de marbre, totalement insensible à ma détresse. Puis, le visage de ce monstre m’apparaissait chaque fois que je tentais de fermer les yeux, me laissant immobile et sans voix. Quoi que je fasse, je restais enchaînée à sa brutalité, à cette violence qui me détruisait chaque jour un peu plus.
Cette vie de misère m’empêchait de respirer, toutes ces humiliations se gravaient, jour après jour, profondément dans ma mémoire. J’avais au fil du temps perdu mon innocence. La solitude me pesait. Et jamais je ne voyais dans mes yeux cette petite étincelle qui brille dans ceux des enfants.
J’étais au cœur de cette vie où tout me semblait flou, je n’avais pas d’enfance et peut-être aucun avenir... Mon existence ne tenait qu’à un fil, qui ne demandait qu’à se rompre sous le poids de la misère.
Sans cesse des larmes coulaient sur mes joues, noyant ma tristesse, dans un océan de détresse. Dans cette solitude, les journées étaient interminables. Ma vie se résumait à cette violence contre laquelle je ne pouvais m’insurger. Je savais que je resterais longtemps seule face à cette souffrance, face à mes tourments. Ma mère, à aucun moment de ma misérable existence, ne m’adressa un sourire qui me réchauffa le cœur. Sa présence ne m’inspirait qu’une haine intense, avec un mépris indéfinissable, sans broncher j’encaissais les coups.
J’étais condamnée à rester seule dans mon coin, à regarder par la fenêtre sans faire de bruit, laissant les larmes ruisseler sur ma peau douce de fillette, en espérant que l’on me comprenne un jour, que l’on m’écoute et peut-être que l’on m’aime... Mais le fait d’aimer et d’être aimé, était-il vraiment pour les enfants comme moi ? J’en doutais.
J’ai beaucoup envié les enfants qui grandissaient dans des foyers aimants et équilibrés, qui ne se rendaient pas compte à quel point je souffrais. Comment auraient-ils pu comprendre ce monde de violence auquel ils étaient complètement étrangers, ce monde qu’ils n’étaient même pas en mesure d’imaginer.
Aujourd’hui, non seulement je peux vivre normalement, mais que je peux transformer toute cette souffrance en quelque chose de positif. J’ai vécu avec ce mal enfoui en moi pendant tant d’années, qu’il est devenu pour moi pire qu’un tueur en série, un personnage cruel, sanguinaire, ignoble.
Si je vois toujours les yeux de ce monstre briller de plaisir quand il se penchait au-dessus de moi, maintenant j’arrive à lui donner moins d’importance. Il sait qu’aujourd’hui je suis capable de le faire enfermer pour ce qu’il a osé faire. Il ne pourra plus me faire de mal, transformer ma vie en cauchemar.
Cette rencontre avec le mal fut terrifiante, mais je n’étais plus la petite fille qui devait subir et se taire. J’avais trouvé la force et le courage de lui tenir tête en dénonçant ses actes inavouables à la police. Je ne voyais en lui que le bourreau, qui paralysa ma vie de petite fille et fragilisa ma vie de femme. J’avais traversé tant de galères, vécu tant d’humiliations, de privations, que je finis par m’endurcir. Je ne voulais plus vivre dans ce monde secret, ce monde inconcevable pour la plupart des humains.
Ces monstres exigent de leurs victimes le plus grand silence et peuvent donc, en toute impunité, continuer à martyriser leurs malheureuses petites victimes. Bien souvent, la peur des représailles et la honte les empêchent de raconter leur histoire.
Alors j’ai décidé de mettre un terme à cette agonie de ma vie. J’ai poussé la porte de ce cabinet, sur laquelle, gravé sur une plaque en laiton, on pouvait lire : « docteur Jeanne Blanchard, psychiatre ». Quand la porte s’ouvrit,  j’hésitai à entrer, et je crus que je manquerais de courage, mais une petite voix me criait d’aller au bout. Je me revis quelques années plus tôt, dans cette salle d’audience, où j’assistais au procès de celui qui m’avait tant fait souffrir.
Devoir me tenir sur un banc derrière cet immonde personnage me donnait la nausée. Le pire était à venir, quand je serai obligée de raconter à haute et intelligible voix, ce que ce monstre m’avait fait endurer. Je sentis alors les larmes me monter aux yeux, je me sentais bien seule auprès de mon avocat. Dans ma tête, je m’adressais à lui en lui disant pauvre type, tu n’es qu’un con qui ne mérite pas de vivre.
Je tentais de dissimuler mon visage derrière les mèches de mes longs cheveux bruns. Je bouillais en entendant ma mère qui reniflait en pleurnichant sur le sort de son compagnon. Ce démon se retourna avec un sourire que je lui aurais volontiers fait avaler, son comportement m’horrifiait. Il me semblait que, comme quand j’étais enfant, il n’avait aucun remords, ce qui me rendait encore plus méchante envers lui. Dès que j’entendis prononcer mon nom, je me dressais et me dirigeais vers la barre en levant la main droite et en prêtant serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Ce récit fut d’une longueur qui me parut durer une éternité, de temps à autre, je baissais la tête en me sentant rougir de honte. Alors que je regardais dans sa direction, je vis sa paire de chaussures noire bien cirées, qui pointaient vers moi. Son visage me tétanisait encore à tel point que je crus un instant que j’allais défaillir.
Ces yeux verts de serpent me fixaient, sa bouche se tordait dans un rictus qui ne me disait rien qui vaille. Même s’il avait maintenant des cheveux grisonnants, je ne voulais pas lui faire de cadeau.
En retournant m’asseoir, je ne voulais plus être juste derrière lui, je me décalais de plusieurs bancs et allais m’installer dans la foule qui assistait au procès. Malgré la distance que je mis entre nous, je sentais ses yeux qui me transperçaient et ses pensées pénétraient mon cerveau endolori. Le juge rendit sa sentence : cinq ans de prison. Je trouvais qu’il s’en tirait bien, mais je jubilais tout de même à l’idée qu’il ne ferait de mal à personne pendant ce temps-là et j’en étais ravie.
 Je ne lançais même pas un regard vers ma mère, effondrée dans son coin.
Durant des années, la douleur se mêla à la laideur. Je ne connus à aucun moment le bonheur entre les murs de cet appartement plutôt vieillot. Chez Simone, je découvrais avec plaisir que tout autour de moi était vrai et beau. Ce cœur tendre qu’elle offrait était pour moi comme pour José, elle nous aimait comme si nous étions ses propres enfants. Je m’attachais de plus en plus à cette nouvelle vie. Je contemplais, fascinée, cette femme qui commençait à avoir les cheveux gris de la sagesse.
Le premier jour de l’audience du procès de Serge, Simone m’accompagna, elle était tendue et se demandait si je trouverais la force nécessaire pour envoyer cet individu à l’ombre pour un certain temps. Après nous avoir fait entrer dans une grande pièce où attendaient tous les témoins des différentes affaires à juger, nous devions rester assises sans même nous adresser la parole.
Je commençais à paniquer, je me demandais ce que je faisais dans cet univers de grands où je n’avais pas ma place. Mon avocat s’approcha et me dit à l’oreille que le fourgon qui amenait Serge n’était pas encore arrivé, qu’il fallait être patientes. Ces mots furent comme des coups de marteau, frappés si forts que je me sentais soudainement tout étourdie.
Enfin ce fut mon tour, il fallait que les jurés prêtent serment et que tous les rituels soient accomplis. Je pensais alors que Serge serait appelé le premier, mais ce ne fut pas le cas. C’était à moi de commencer, et secrètement je savourais le moment où je pourrais lui faire autant de mal que lui m’en avait fait, en le privant de sa liberté. Je partais avec la ferme intention de ne pas lui faire de cadeau. Mon cœur bondissait dans ma poitrine, mais je devais trouver la force nécessaire, pour déballer ma triste histoire devant tous ces étrangers, qui ne manqueraient sûrement pas de me juger.
J’eus du mal à réaliser, qu’il fallait que je rentre dans cette grande salle pour affronter ce sale type. En entendant prononcer mon nom, je tremblais de la tête aux pieds. À part celui de Simone, je ne vis aucun visage amical et encourageant, bien au contraire, je sentais tous les regards se fixer sur moi, comme si j’étais une criminelle. J’étais préparée à ce que le juge et les avocats me déstabilisent en me traitant de menteuse, tant ma vie n’avait été qu’un calvaire.
Je savais aussi qu’ils m’obligeraient à parler de choses auxquelles je ne voulais plus penser, comme le traumatisme de cette première fois, où il me laissa seule et désemparée dans un coin de ma chambre avec ce sang qui ruisselait le long de mes jambes et cette douleur intense que je ressentais dans tout mon être. Tout ce chambardement dans la toile de mes souvenirs me mit dans un état second, je n’entendais plus rien de ce qui se disait autour de moi, mon esprit était absent, comme dissocier de mon corps.
Certaines personnes me lancèrent des regards menaçants, pour essayer de m’intimider, ils espéraient peut-être que leur attitude me ferait renoncer, mais ils se trompaient, j’étais fermement décidée à aller au bout de ce déballage, même si je devais en souffrir par la suite. Je voulais plus que tout mettre un terme au règne de terreur de ce sale type, et je voulais surtout l’éloigner de ma mère, qui prenait des coups plus souvent qu’à son tour.
J’étais effrayée et je tremblais de la tête aux pieds, je les regardais droit dans les yeux et faisais comme s’ils n’étaient pas là. Je voulais que tout le monde sache ce que j’avais enduré toutes ces années. De temps à autre, j’envoyais un regard de défi à ma mère qui pleurnichait sans se préoccuper de la peine que je ressentais.
Je ne sus jamais si Serge ressentit un peu de honte, ou s’il se moquait totalement du mal qu’il m’avait fait. Tandis que mon avocat tentait de me faire dire tout ce que j’avais à dire, je baissais la tête pour que mes cheveux masquent mon regard. Je ne voulais plus croiser celui de Serge, qui donnait l’impression de me narguer pour mieux me déstabiliser. Je ne voulais pas qu’il me perturbe, j’avais réussi à ranger mes souvenirs dans un coin de ma mémoire, là où je pouvais les supporter, et je ne voulais pas que de nouvelles images viennent s’y agripper.
En dissimulant mes larmes derrière ce rideau de cheveux, ce sale type restait en dehors de mon champ de vision. Cette première journée fut difficile, je ne parvenais pas à voir Simone qui était assise sur un banc à quelques mètres derrière moi. Je sentais qu’elle m’encourageait à tout dire, même l’impensable, l’intolérable pour une enfant de mon âge.
Je fondis en sanglots lorsque mon avocat évoqua mon enfance, sans épargner aucun détail, même les plus pénibles à entendre. Je voyais le visage des jurés tendu, leurs regards allaient constamment de Serge à moi, comme s’ils cherchaient une faille dans ce discours, qui leur ferait douter de la sincérité de mes dires. Je devais raconter tous les actes sexuels dans leur intégralité. Tous mes secrets les plus horribles se trouvaient déballés sur la place publique et j’en étais mortifiée. Je savais que mon avocat faisait tout ce qu’il pouvait pour faire enfermer Serge, sans déguiser la vérité.
Ce déballage sordide me faisait honte, mais je devais en passer par là. Je crois que ce qui me faisait le plus mal était l’attitude qu’affichait ma mère, qui pleurnichait toujours en comprenant que Serge allait lui manquer, pendant un certain temps. Je crois qu’elle ne se rendait pas compte de ce que j’avais vécu, ou ne voulait pas s’en rendre compte.
Quand l’avocat de Serge prit le relais et s’adressa à moi, soudain je me sentis défaillir, je voulais que tout cela cesse. Les mots qu’ils attendaient restaient coincés dans ma gorge, j’étais si malheureuse en sentant les regards de pitié de la foule qui assistait à ce procès de la honte, que je n’arrivais plus à contrôler ma voix, je sentis ma gorge qui se serrait sans que je puisse y remédier.
Je ne savais plus quoi faire tant j’avais peur que cet avocat ne me traite d’affabulatrice, de menteuse. Je sentais qu’il voulait me faire dire que j’avais tout inventé, qu’une histoire pareille ne pouvait avoir été vécue. Je pensais très fort dans ma tête que s’il avait reçu les coups avec la même violence que je les avais reçus, il ne se poserait pas cette question.
Tout le temps de l’interrogatoire, je sentais Serge qui gesticulait sur son banc des accusés, et je l’entendais se racler la gorge comme s’il voulait me rappeler que je devais garder notre secret. Il essayait par ses regards noirs et son attitude désinvolte de me renvoyer au jour où il me mit le couteau de cuisine sous la gorge pour que je sente bien que cette lame pouvait me faire taire à tout jamais.
Je savais qu’il mesurait la souffrance que j’endurais mais que jamais il n’avouerait la vérité. Le bourreau se posait en victime. Trop lâche pour admettre que son comportement n’était pas normal.
Seul le juge semblait triste pour moi. Il me redonnait confiance. Je l’observais pendant que je racontais mon histoire et je le vis à plusieurs reprises mettre la tête entre ses mains comme si, ce qu’il entendait, l’horrifiait. Peut-être avait-il lui aussi des petites filles à la maison, et qu’il pensait à elles en m’écoutant ?
Quand je fus enfin libérée de la barre, j’allais me réfugier auprès de Simone, qui avait nerveusement fait des confettis avec ses Kleenex et en avait recouvert le sol. Elle me serra fortement la main comme pour me dire que le plus difficile était passé, que je ne devais plus m’en faire. Je savais que ce calvaire n’était pas terminé, je devais me représenter le lendemain pour entendre le verdict. En me retrouvant à cette barre, face au juge, je me sentis à bout de forces et je pensai que je ne tiendrai pas le coup,
Je fis comprendre au juge que j’étais désolée et je baissais la tête dans un sentiment de désespoir mélangé de honte et de fatigue. Il comprenait que ce sale individu m’avait volé mon enfance, mon innocence, fait de ma vie un enfer presque inimaginable.
Après la suspension de séance, je fus conduite dans une autre salle par une dame d’une quarantaine d’années qui était officier de police et s’occupait des victimes de viol. Entre les séances, à aucun moment, on me fit croiser ce sale type, il partait toujours dans une pièce opposée à celle où je devais attendre la suite des événements.
Avant l’annonce du verdict, il entra avant moi dans la salle et, au passage, il tenta de me faire un croche-pied. Je levais alors les yeux et les posais sur son visage ricanant derrière ses fines moustaches. Il me lança un regard qui me tétanisa de peur, mais ne me fit pas baisser ma garde. Ses yeux clairs comme délavés me transpercèrent, mais je me sentais reprendre des forces pour aller au bout.
Je sentais ses yeux qui me déshabillaient, ses pensées morbides qui labouraient mon cerveau comme quand j’étais une petite fille sans défense. Je ne voyais que cette silhouette aux yeux morts, vides de compassion, qui me fixaient sans relâche. Je me dirigeais vers l’angle de la pièce comme si je voulais me cacher tant je sentais le rouge de la honte envahir mon visage.
Je sanglotais en pensant que s’il n’allait pas en prison aujourd’hui, j’étais morte, il ne me pardonnerait jamais d’avoir fait éclater nos secrets comme une bombe. Je voulais être présente lors du verdict, et voir une dernière fois le visage figé de cet homme qui était resté assis à m’écouter pendant que je mourais de honte en détaillant toutes les humiliations qu’il m’avait fait subir pendant tant d’années.
Je ne savais même pas si cette condamnation allait l’humilier autant que je l’aurais voulu. Perdre sa liberté ne semblait pas l’affecter plus que cela. J’attendais avec une certaine impatience le verdict, si les jurés ne devaient pas croire mon histoire et qu’ils le laissent ressortir libre de ce tribunal, je ne savais pas ce qu’il adviendrait de moi. D’une façon ou d’une autre, Serge ferait tout pour me faire payer très cher de l’avoir mis dans cette situation et continuerait à infliger ses sévices sans être inquiété.
Quand le verdict tomba et que j’entendis qu’il était condamné à cinq ans de prison ferme, je sentis mon estomac se crisper. L’angoisse montait sous l’effet de panique, la sueur perlait à mon front, mes jambes flageolèrent, mais j’étais satisfaite d’avoir été reconnue victime de ce monstre.
Le juge me fit entrer ensuite dans une petite pièce vitrée qui donnait sur la rue, il avait remarqué le regard que cet homme me lançait au cours de l’interrogatoire, il voulait s’assurer que je ne me retrouve pas face à lui. Je le regardais monter dans ce fourgon cellulaire qui l’emmenait vers le centre d’incarcération et je restais sans expression. Cette silhouette immobile aux yeux morts ne me fixerait plus avant longtemps.
Je pouvais maintenant me calmer et sortir à mon tour de cette salle d’audience, je ne craignais plus rien. Le plus dur pour moi restait à faire, exorciser toute cette histoire. Comment sortir du plus profond de ma mémoire toute cette souffrance accumulée depuis tant d’années ?
Je n’étais qu’une petite fille qui jouait encore à la poupée et qui essayait de rêver de contes de fées, quand ce calvaire commença. Du jour au lendemain, je devins cette petite fille qui pleurait chaque nuit, la tête enfoncée dans son oreiller pour étouffer ses sanglots. Mon sourire s’était figé à tout jamais.
C’était fini, il n’abuserait plus de mon esprit et de mes pensées naïves. Il ne ferait plus de moi sa proie passive. Il ne me ferait plus verser tant de larmes en me lançant au visage toutes ces insultes qui sortaient de sa bouche comme un venin. Il ne pourrait plus exiger de moi ce silence après avoir réalisé ses fantasmes. Tout cela n’avait que trop duré, il ne pourrait plus s’approprier chaque infime partie de mon corps meurtri de douleurs. Je ne serai plus sa prisonnière, j’allais pouvoir enfin vivre dans le calme et la sérénité. Me reconstruire et devenir une femme.
Dès qu’il fut derrière les barreaux et devenu inoffensif, j’eus beaucoup de reconnaissance pour tous ces gens qui m’aidèrent à sortir de ses griffes. Le soir de cette condamnation, dans mon lit, je pensais à la solitude de ma mère, mais elle devait comprendre qu’il avait mérité cette peine de prison, pour tout le mal qu’il m’avait fait. Il ne me terroriserait plus en me plaquant le long du mur, en me serrant la gorge, cherchant à m’étouffer. Je voulais avoir une fin d’adolescence heureuse près de Simone et de mon petit frère de cœur, José.
Les compagnons de boisson de Serge voulurent me mener la vie dure, peut-être pour le venger, mais ils comprirent assez rapidement que le comportement de leur ami les effrayait parfois, et ils prirent la décision de me laisser en paix.

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