Au début des années 60, la vogue des petites berlines sportives, courante outre-Manche Austin Cooper, Ford Cortina Lotus, Hillmann Imp, n'a pas la même vigueur de ce côté du Channel. Aussi, lorsque Renault lève le voile sur la R8 Gordini, lors du Salon de Paris 1964, la nouvelle fait sensation.
Dans un coin du stand Renault, un peu à l'écart, une drôle de R8 drapée d'un rutilant coloris bleu de France barré de deux bandes blanches attire les regards. La sage berline familiale des années 60, avant l'heure, fait sa révolution. Sous sa robe anonyme en dépit de ses peintures de guerre, se cache un modeste moteur 1100 concocté par Amédée Gordini, dit "le sorcier". Ce surnom a été donné à ce génial mécanicien, émigré italien arrivé en France en 1925 et qui modifia d'abord des Fiat, puis des Simca, avant d'engager ses propres voitures au plus haut niveau F1, Le Mans.
En dépit de moyens financiers limités, il obtint de bons résultats et fit même débuter en 1948 en Europe un certain Juan Manuel Fangio. Pas moins. Il entama ensuite sa collaboration avec Renault, dont les mécaniques étaient populaires et largement répandues, en développant une boîte à 4 vitesses pour la Dauphine.
La R8 Gordini se présente, au propre comme au figuré, comme la bombe du salon. Le bloc 1 108 cm3, dérivé de celui de la R8 Major, reçoit une culasse hémisphérique en aluminium ainsi que deux carburateurs double-corps Solex. Il délivre 95 ch (SAE) à 6 500 tr/mn et autorise une vitesse de pointe de 175 km/h. Transmission, freinage et trains roulants se trouvent adaptés à la cure de vitamines. Extérieurement, outre son coloris unique, la "Gord" se distingue par ses phares de gros diamètre et le logo Gordini à l'arrière.
Le succès commercial de cette auto, vendue 11 500 francs (soit 15 421 euros de 2014), se voit dopé par ses résultats en compétition. Cheval de bataille de la Régie en rallyes, la R8 Gordini s'impose rapidement comme une redoutable machine à gagner. D'abord à l'occasion des épreuves routières, puisqu'elle épinglera à son palmarès à trois reprises le redoutable Tour de Corse en 1964 (Jean Vinatier), 1965 (Pierre Orsini) et 1966 (Jean-François Piot). Ces faits d'arme ne constituent qu'une infime partie de son palmarès.
La Gordini va aussi, et surtout, s'avérer une formidable "auto-école" et formera toute une génération de jeunes pilotes grâce à la coupe éponyme, dont la première édition se déroule en 1966. Cette épreuve monotype, destinée à promouvoir l'éclosion d'espoirs tricolores, comble un grand vide et connaît d'entrée un franc succès populaire, grâce aux joutes spectaculaires que se livrent les concurrents. L'édition inaugurale a lieu en 1966 et comprend alors des courses en circuits, des rallyes et des courses de côte. De jeunes inconnus, appelés à devenir célèbres comme Jean-Claude Andruet, Bernard Fiorentino, Jean-Pierre Jabouille, Jean-Luc Thérier, figurent parmi les engagés de la première heure. Au fil du temps d'autres suivront, Jean-Pierre Jarier, Michel Leclère, entre autres.
Pépinière de talents
Robert (alias Jimmy) Mieusset ouvre, le 2 octobre au Mans, le palmarès de la coupe qui, dès l'année suivante, se déroule uniquement sur circuit. C'est le temps de la débrouille et de l'amateurisme pur où, bien souvent, l'auto sert aussi à se déplacer par la route sur les circuits et, en semaine, pour l'usage quotidien. De cette époque héroïque, véritable pépinière de talents, naîtront les grands pilotes français des années suivantes.L'ambition survenant en roulant et en gagnant, la R8 Gordini hérite d'un moteur 1 300 cm3 au Salon de Paris 1966. Cette montée en puissance (110 ch) va transfigurer le comportement du véhicule qui se dote parallèlement de quatre projecteurs dont deux à iode, d'une boîte à cinq rapports synchronisés, d'un réservoir supplémentaire (25 litres) logé dans le coffre avant et d'une planche de bord enrichie avec, notamment, le fameux volant Quillery à trois branches. Elle avale le kilomètre départ-arrêté en 31,9 secondes et revient à 13 500 francs (soir 17 200 euros d'aujourd'hui). Un rapport prix-performances alors inégalé et sans doute aujourd'hui encore.
Six ans et puis s'en va
Cette version sera de nouveau engagée officiellement lors de compétitions routières où elle concourt dans la catégorie des tourismes de série. En 1968 Jean-Pierre Nicolas domine cette catégorie au Monte-Carlo, face à des autos plus puissantes, avant d'être victime d'ennuis de freins. Néanmoins, elle étoffe encore singulièrement son fabuleux palmarès et signe quelques exploits retentissants, à l'image de la 5e place décrochée par Jean-Luc Thérier lors du Monte-Carlo 1969. Le pilote normand se souvient : "Limitée en puissance, la Gogo n'était pas un foudre de guerre en montée, mais qu'elle allait vite en descente... Elle m'a servi de tremplin pour rejoindre l'équipe Alpine quelques mois plus tard."Ce sera, malheureusement, le champ du cygne de la R8 Gordini dont la production cesse en juin 1970. En coulisses, Renault prépare sa succession et entend promouvoir sa dernière née, la R12, bientôt elle aussi dopée par Gordini. La nouvelle petite familiale, fidèle à la traction comme toutes les dernières productions de la Régie, n'aura jamais le caractère joueur de son aînée, dernière propulsion de la firme de Boulogne, et ne rencontrera pas le même engouement. Sa présentation officielle et le passage de témoin se déroulent le 9 juillet sur le circuit du Castellet, à l'occasion d'une grande manifestation, baptisée "Jour G." Ce jour-là, l'esprit ne fut pas vraiment à la fête, beaucoup pleurant la fin de leur icône.
Un cinquantenaire dignement fêté
Née en 1964, la R8 Gordini quitta les chaînes de production six ans plus tard. Sa carrière, relativement courte, fut néanmoins suffisante pour en faire un mythe, aujourd'hui très recherché des collectionneurs puisque sa cote (40 000 €) ne cesse de s'envoler.Histoire de fêter dignement le cinquantenaire de ce bolide, le losange proposera différents évènements le mettant en valeur. Après le Monté-Carlo Historique entre le 22 et le 29 janvier, qui alignera cinq Gordini, la belle bleue retrouvera la Porte de Versailles à compter du 5 février, à l'occasion du salon Rétromobile. D'autres manifestations jalonneront cette année anniversaire d'une Renault jamais détrônée dans le coeur de ses dévots.
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