jeudi 21 août 2014

Marie Trintignant

 dix ans, la comédienne succombait sous les coups de son amant. Une histoire qui a pris une ampleur extraordinaire, jusqu'à devenir un mythe contemporain.

Bertrand Cantat et Marie Trintignant. (Photos Sipa et Maxppp) Bertrand Cantat et Marie Trintignant. 




Il y a dix ans, une stupeur bousculait la torpeur caniculaire de l'été. De Vilnius venait une nouvelle sidérante, et l'on se pinçait pour y croire : Marie Trintignant tuée sous les coups de son compagnon Bertrand Cantat. La fraîcheur insolente de la fille d’une famille mythique du cinéma français à jamais effacée par la violence du chanteur d'une génération, Bertrand Cantat entrant dans le noir tunnel qu'était devenue, en une nuit, sa vie.
En mars 2004, au terme d'un procès déroutant, il est condamné par la justice lituanienne à huit ans de prison. Après des mois à l'isolement dans la prison sordide de Vilnius, il est transféré à la prison de Toulouse. En octobre 2007, conformément à la loi et à son comportement irréprochable en détention, il bénéficie d'une libération conditionnelle. Depuis le 29 juillet 2010, il a officiellement terminé de purger sa peine.
[ETE] [31Juillet]Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne
Bertrand Cantat au tribunal de Vilnius le 16 mars 2004.
Sa liberté retrouvée a pourtant le goût amer de l'illusion. Dès qu'il met un pied sur scène, apparaissant ici ou là auprès d'amis musiciens ou dans un spectacle de théâtre, le débat s'enflamme à nouveau, aussi virulent qu'en 2003. Il n'apparait pas dans les médias, refusant toute interview, mais sa figure électrise les forums internet. La tranquillité sera pour plus tard. Condamné à une double peine aussi informelle qu'infinie, Cantat ne pourrait plus, à entendre ses plus féroces contempteurs, exercer son métier, le seul qu'il ait pratiqué depuis son adolescence : chanteur.

Une suite de déchirures

Nadine Trintignant et sa fille Marie en 2001 




































Surtout, depuis sa libération, Bertrand Cantat a dû affronter d'autres déchirures qui s'enchaînent comme les perles noires d'un collier piquant. Après Marie Trintignant, dont il ne se pardonne pas la disparition, sa mère est décédée brutalement. En janvier 2010, c'est Kristina Rady, la magnétique Hongroise qu'il avait quittée pour vivre sa passion avec Marie Trintignant et qui l'avait pourtant soutenu durant toute l'épreuve de la prison, qui se suicide, faisant à nouveau naître les questions dans son sillage : et s'il l'avait poussée à bout, par son intransigeance folle ? Etait-elle devenue victime à son tour de violences conjugales, elle qui avait juré qu’il n’avait jamais porté la main sur elle ?
Après la mort de Marie Trintignant, les policiers avaient d’ailleurs interrogé ses ex petites amies et écumé les hôpitaux et les commissariats parisiens et bordelais à la recherche d’un antécédent de violence. En vain. Est-ce la prison qui l'aurait changé ? C'est ce qu'affirment les parents de Kristina Rady.
Si le chanteur ne quitte pas le silence auquel il s'est astreint, ses proches ne cachent pas leur dégoût face à ce qu'ils voient comme un acharnement contre un homme déjà affaibli. Fin 2010, le groupe Noir Désir finit par céder sous la pression, la dissolution est annoncée après plus de 25 ans d'existence.
En mars dernier, son plus fidèle soutien, l'avocat Olivier Metzner, se suicide à son tour. Que reste-t-il à Bertrand Cantat qui fêtera ses cinquante ans l'année prochaine ? Ses enfants, sa famille, quelques amis et une envie de ne pas laisser muette sa musique. Depuis quelques semaines, il est en studio, préparant un album solo annoncé pour le mois de novembre. On entend déjà le tumulte de sa sortie et les débats sans fin entre ceux qui jugeront indécente toute expression du Bordelais et ceux qui salueront le retour d'un artiste plus que jamais écorché.

Un mythe contemporain


Car finalement, dix ans après le drame de Vilnius, la passion n'est pas retombée. Ils sont rares les faits divers qui prennent une telle dimension collective et symbolique. Rares, les histoires qui suscitent tant d'émotions, de réactions. Jusqu'à devenir un mythe contemporain. Parce qu'elle met en scène des personnages célèbres et emblématiques; parce qu'elle parle de choses ancestrales, simples et terribles, l'amour, la famille, la mort; parce qu'elle renvoie chacun à sa part taboue de violence et de pulsion, cette histoire a pris une ampleur extraordinaire. Mettant chacun face à ses propres démons, permettant une lecture apparemment simple des relations homme-femme, la mort choquante de Marie Trintignant est une de ces tragédies qui marquent une époque.
Mais la tragédie de Vilnius est, comme tous les drames conjugaux, d'abord l'histoire d'un homme et d'une femme. L'histoire de Marie et de Bertrand, dans toute leur banale et extraordinaire humanité. Retour sur une tragédie moderne.

L'article ci-dessous a été publié dans le "Nouvel Observateur" du 9 octobre 2003.

Le chagrin et la colère

Vous savez, quand elle avait 7 ans, j'ai dit à Marie de ne jamais faire de bêtises parce que je serais incapable de la gronder. Alors? Elle n'a jamais fait de bêtises." C'est la première chose qu'il a dite à la juge quand il est allé la voir début septembre. Jean-Louis Trintignant, que l'on dit "calciné" par la disparition de sa fille, n'était jusqu'alors pas sorti de son silence. Indéracinable de son immense malheur, il s'était retranché dans le Gard, près de son vignoble et de ses oliviers.
Loin du monde, il n'avait lu la presse que longtemps après la cérémonie blanche de Marie. C'est en découvrant que Bertrand Cantat invoquait, via son avocat, une crise d'hystérie de Marie pour expliquer son crime, qu'il a décidé de parler. Pour défendre sa fille de ce qu'il vivait comme une innommable attaque posthume. Et dire que non, sa petite ne pouvait pas avoir fait de "bêtises". Comme si accepter l'idée qu'elle en aurait fait la rendrait responsable de ce qui lui est arrivé.

Une rencontre


 Affiche Marie Trintignant


Il faut bien, pourtant, entrer dans les détails, pas pour inverser les responsabilités, non, mais pour reconstituer les derniers mois de Marie, le tragique enchaînement des faits. Ça commence par un coup de foudre. Marie travaille son rôle de chanteuse de rock : elle sera Janis Joplin pour le film que son mari Samuel Benchetrit s'apprête à tourner. Une de ses copines de cinéma, Anne, lui suggère de venir voir le groupe de son frère Bertrand en concert. Question rock'n roll, Noir Désir ne joue pas à moitié. Dans la loge, après le spectacle, il se passe ce qui arrive parfois, le mystère de la rencontre quand soudain il devient évident qu'on se reverra. Attirance réciproque, magnétisme. Marie reviendra voir deux autres concerts. Ce sont deux fortes personnalités qui se découvrent. Il est le chanteur charismatique qui, depuis vingt ans, enflamme la scène française; elle est la dernière des Trintignant, une actrice un peu décalée qui n'a jamais eu peur de jouer avec le feu sur l'écran ou en scène.
Le mariage de Marie avec Samuel Benchetrit est, après quatre ans de bonheur, dans une phase de creux. Il est pris par son projet de film, moins disponible. Elle le sent loin. Marie, de toute façon, n'a pas peur des ruptures amoureuses. "Elle était très exigeante, au travail comme en amour, dit sa meilleure amie Zoé. Ses hommes, elle ne les trompait pas, mais quand elle sentait les choses s'émousser, elle les laissait. Sans brutalité, avec beaucoup de respect et de tolérance." Marie, à l'été 2002, se sent en tout cas plus disponible pour une autre histoire que Bertrand qui a des scrupules: Kristina, sa femme depuis une dizaine d'années, attend leur second enfant. La relation toute neuve est d'abord platonique. "Il a voulu mettre ses distances, raconte Kristina. Mais Marie a insisté. Après la naissance de notre fille en septembre, je lui ai demandé de partir. C'était très douloureux, mais il valait mieux qu'il vive cet amour entièrement plutôt que de le regretter toute sa vie."
Bertrand achète au nom de Kristina un logement à Bordeaux et s'installe chez Marie, à Paris, dans la maison de Belleville où elle élève ses quatre enfants. Ils sont scotchés l'un à l'autre. Au printemps, ils partent en tournée : Marie joue avec son père Jean-Louis "Lettres à Lou" et "Comédie sur un quai de gare". Pour les amants, ce n'est pas tout à fait la vraie vie, ça n'a pas tout à fait le goût du quotidien. Elle est subjuguée par l'énergie qu'il dégage, il croit reconnaître une alter ego. Tous deux sont entiers, veulent vivre les choses à fond. Chercheurs d'absolu, ils partagent la passion de la poésie. Ils se sont trouvés, ils rayonnent.
[ETE] [31Juillet]Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne

"Marie était quelqu'un de très fascinant, poursuit Zoé. Elle mettait beaucoup d'énergie à vous rendre la vie jolie et gaie. Elle avait décidé très tôt qu'il fallait être heureux et s'y appliquait chaque jour. Quand elle vous aimait, elle avait une façon de s'intéresser à vous qui vous faisait vous sentir intelligent." Captivé, Bertrand voit peu ses proches, se contente de quelques coups de téléphone où il parle de cette expérience unique qu'il est en train de vivre. "Il était content de voir qu'on ne le jugeait pas. Il était éperdument amoureux, il fallait qu'il vive cet amour pleinement", dit un de ses meilleurs amis.
Ainsi les amoureux sont-ils dans une bulle. Quelques semaines à peine, puisque, fin mai, Marie doit reprendre le travail: le tournage de "Colette" commence. Ils partent ensemble, Marie ne veut pas le laisser, il n'entend pas la laisser. Bertrand a emporté dans ses bagages du travail, pour Noir Désir : le groupe, pour une fois, est décidé à ne pas laisser trop de temps passer avant de sortir un nouveau disque.

Tournage à Vilnius

Juin, juillet, deux mois de travail intense pour Marie qui est de tous les plans du téléfilm. Juin, juillet, deux mois d'attente pour Bertrand qui se retrouve soudain propulsé dans la vraie vie de Marie. Il ne l'a plus pour lui tout seul. Il doit la partager. "Jusqu'à Vilnius, analyse Zoé, il ne s'était sans doute pas rendu compte qui était vraiment Marie: une comédienne qui se donne à 100% au travail, et une fille aimée de tout le monde, très entourée."
Pour les amoureux, le tournage est une alternance pénible de séparations et de retrouvailles. Certains jours, Bertrand ne quitte pas le plateau. D'autres jours, il ne bouge pas de l'hôtel. Ils se quittent le matin, se jettent dans les bras l'un de l'autre, le soir. Bertrand s'ennuie, travaille peu, tourne en rond, guettant la moindre minute qu'il pourrait passer avec elle. Marie lui envoie des messages d'amour à la moindre pause. Pas une fois, elle ne partage le repas de l'équipe du tournage. Toujours, ils s'éclipsent, impatients d'être à nouveau seuls.
[ETE] [31Juillet]Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne
Bertrand Cantat sur le tournage de "Colette" à Vilnius.
Mais Bertrand se plaint. "Il disait qu'il en avait marre d'être à Vilnius, rapporte Kristina, qu'il pleuvait tout le temps, que les petits lui manquaient. Il n'était pas bien." Une semaine avant le drame, il envisage de partir. Marie l'en dissuade. Difficile pour lui de résister à ses prières d'amour, il n'est pas dur à convaincre. Et puis, les vacances sont proches. Pendant ce temps, ses amis de Noir Désir sont en studio et s'étonnent, sans le lui dire, qu'il ne soit pas des leurs, la première fois en vingt ans d'existence du groupe.
Marie aussi est lasse en cette fin juillet. Elle se dit fatiguée, elle a mauvaise mine. "Je l'ai eue au téléphone deux jours avant le drame, elle se plaignait, ce n'était pas dans ses habitudes", témoigne Zoé, qui pense que son amie avait alors compris que leur histoire n'aurait pas de lendemain : "Pour moi, elle donnait le change, en attendant l'explication. Là, ce n'était ni l'endroit ni le moment de faire des histoires."
[ETE] [31Juillet]Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne
Marie et sa mère, Nadine Trintignant, sur le tournage de "Colette", à Vilnius.
Avaient-ils réalisé que leur histoire n'était qu'un feu de paille ? Ni l'un ni l'autre n'en avaient parlé à leurs proches. L'enquête n'a pour l'heure recueilli que des témoignages parlant d'un couple éperdument amoureux, à la limite de la "midinetterie". Dans une interview donnée à une télévision lituanienne, Cantat se montre même sous un jour inconnu. Lui qui a toujours refusé la presse people répond en amoureux béat : "Rien n'est plus important dans ma vie que la femme que j'aime." Marie répète souvent combien elle a hâte "d'être au soleil, à ne rien faire, avec mon amoureux». Et dans un texto, adressé fin juin, à la sœur de son compagnon, elle écrit : "Kill (sic) est dur ce film. Je te bénis chaque jour de m'avoir fait rencontrer Bertrand. Dieu qu'on s'aime."

Marie et sa famille

Dans sa cellule de Vilnius, Bertrand Cantat fait chaque jour de la "gymnastique d'esprit", pour travailler sa mémoire. Il veut se souvenir de tout, pour trouver lui aussi du sens à ses gestes fatals. Lors de ses parloirs quotidiens, outre son immense désarroi "question culpabilité, il a pris perpète", dit un de ses proches, il commence à parler, en réponse aux échos haineux venus de Paris, de sa difficulté à trouver une place dans la famille de son amoureuse.
Une famille pour le moins atypique. Des artistes. Des flamboyants. Le père est une star du cinéma, son sourire, sa voix de velours, son regard, son amour de la vitesse fascinent. La mère, Nadine, est issue d'une famille nombreuse, méditerranéenne et haute en couleur. Cinq frères et sœurs, dont deux acteurs. Une tribu joyeuse, unie, à l'esprit libre et ouvert. "J'avais cette famille en exemple. Ils étaient beaux à voir. Chez eux, c'était vivant et tendre", confiait Marie au journal "Elle" quelques semaines avant sa mort. "Jean-Louis est tombé amoureux de toi le 21 janvier 1962 à la clinique du Belvédère, lui écrit Nadine dans la lettre à sa fille qu'elle vient de publier. Tu aurais pu devenir la reine des capricieuses." ("Ma fille Marie", Fayard 2003)
[ETE] [31Juillet]Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne
1979. Nadine avec ses enfants , Marie et Vincent.
Effectivement, on ne se lâche pas. Pour Marie, toutes les occasions sont bonnes pour travailler avec les siens. Depuis son premier vrai rôle à 16 ans dans "Série noire" de son beau-père Alain Corneau, sa carrière raconte aussi son histoire familiale. Et donne parfois le vertige : "Janis et John", son ultime film pour le cinéma, est tourné par son ancien mari. Elle y partage la vedette avec son père et un ancien de ses compagnons, François Cluzet. Le téléfilm sur Colette, dont elle a coécrit le scénario avec Nadine, est mis en scène par sa mère. L'amant incestueux de Colette y est joué par son propre fils, Roman. Elle a joué avec Jean-Louis au théâtre les "Lettres à Lou" de Guillaume Apollinaire, où père et fille s'envoyaient des mots d'amour enflammés. Loin de revendiquer une quelconque provocation, ils s'en amusaient toujours, de ce jeu avec le tabou des tabous, l'inceste. "Nous sommes plus naïfs que les gens qui peuvent y voir de la perversité, disait Marie. C'est juste un jeu et c'est moins gênant de jouer des scènes d'amour avec un proche."
Dans son livre, outre les charges violentes contre Cantat, Nadine dévoile un peu des liens étonnants que cette famille avait développés. Elle raconte son mariage avec Alain Corneau. Trois témoins à l'union : Marie, accompagnée de son frère Vincent et de son mari Samuel. Elle se rappelle cet après-midi d'été où elle se réveille d'une sieste, "en plein sale rêve". Le pressentiment que sa fille, alors âgée de 16 ans, a besoin d'elle. Elle lui téléphone immédiatement. Un an plus tard, Marie lui dira qu'elle venait de faire l'amour pour la première fois. Et puis, le récit des accouchements de Marie, qu'elle vit à ses côtés. Après la naissance de Roman, "dans la voiture en rentrant, épuisée, heureuse et distraite, j'ai demandé à Vincent s'il était content d'avoir ? un petit frère!". Fusion, confusion des rôles parfois, mais surtout refuge, liberté et amour. On s'aime, très fort. On se le dit. De façon exacerbée parfois : "Je suis amoureux de ma sœur", "je suis amoureuse de mes enfants", affirme-t-on chez les Trintignant. C'est leur façon d'être, leur normalité à eux.

Ce qu’ils imaginent : photo Marie Trintignant

 

 

 

Bertrand Cantat débarque dans la vie de Marie à l'aube de la quarantaine. Son chemin professionnel est déjà bien tracé, loin du cinéma, un monde qui ne le bluffe pas. Il a réussi dans son domaine. Quant à son "sac à dos familial", il est empli d'autres choses, il n'a pas les mêmes clés que Marie. Il est né dans une famille beaucoup plus traditionnelle. Grands-parents ouvriers. Parents issus d'une petite ville de province qu'une aciérie fait vivre depuis des générations. On y est ouvrier ou ingénieur. Les Cantat sont ouvriers, de père en fils. Mais les parents de Bertrand veulent échapper à cette fatalité sociologique, briser la reproduction. Ils prennent ce que la République propose à ses enfants modestes : l'armée pour lui (il deviendra para et "fera" l'Indochine et l'Algérie), l'Education nationale pour elle (première bachelière de la famille, elle sera institutrice).
Les Cantat déménagent souvent, au gré des affectations paternelles. Les enfants, deux fils et plus tard une fille, en souffrent. Mais, "mes parents avaient les schémas éducatifs de leurs propres parents, explique Xavier, l'aîné de la famille. Ils étaient peu à l'écoute des enfants. C'était la vie, c'était comme ça". Education un peu rugueuse, assez stricte. En même temps, l'appartement HLM est peuplé de livres et les repas animés de discussions politiques à n'en plus finir. "Nos parents, par leur ouverture d'esprit, nous ont inculqué l'esprit critique, poursuit Xavier. Ils nous ont donné malgré eux les armes de la contradiction. Alors, la crise d'adolescence a commencé assez tôt."
Quand, à 16 ans, Bertrand annonce qu'il veut faire du rock avec des copains de lycée, ça passe mal. Les parents rêvaient pour lui d'une ascension sociale plus classique : bonnes études, et puis ingénieur, avocat ou médecin. Mais Bertrand, comme son frère, aspire à la liberté, s'imagine volontiers en marge des conventions sociales et cherche, surtout, un moyen d'exprimer ses tourments d'adolescent romantique d'abord et de jeune homme engagé ensuite. Alors, à 18 ans, il quitte la maison et s'assume entièrement seul. Il fait des petits boulots et du rock'n roll. Il découvre qu'on peut vivre sans ses parents. Il se construit, pas contre eux, mais à distance.

Bertrand et Marie

A des années-lumière de la petite Marie qui jamais ne trouve pesante sa famille, jamais ne se révolte et ne peut imaginer vivre loin de ses parents adorés. Quand Bertrand rencontre Marie, il ne s'en étonne pourtant pas, concentré sur l'amour qu'ils vivent. Essaie-t-il de couper Marie des siens ? C'est ce que pense sa mère qui l'accuse d'avoir voulu s'approprier sa fille, à la manière d'une "bête guettant sa proie" : "Ton meurtrier a été attiré par ton formidable amour de la vie. Il a tenté de le prendre pour lui." Bertrand Cantat, lors de ses parloirs, réfute cette accusation : "C'est moi qui ai été coupé de tout le monde, pas Marie qui était avec sa famille et ses amis." Il raconte que Jean-Louis lui avait proposé de reprendre son rôle dans "Lettres à Lou" : "J'ai refusé, ça m'aurait pris trop de temps, ce n'était pas mon truc. Ils n'ont pas compris. Ils y ont peut-être vu de la défiance ou du mépris de ma part."
[ETE] [31Juillet]Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne
Marie Trintignant en 1999. 
Reste qu'entrer dans la vie de Marie n'est pas chose simple. Car elle a un passé, qui ne ressemble pas exactement à un long fleuve tranquille. Quatre enfants, de quatre pères. Marie pourrait être une publicité pour la famille recomposée. C'est sans doute cela qui la rendait si attachante, cette volonté de tout être, tout vivre, sans rien sacrifier: mère, fille, amante, amie, actrice. Mère de famille mais femme libre de son cœur, elle subjuguait ses hommes, et avait vécu des histoires d'amour tumultueuses. "Je suis fasciné par son côté mante religieuse", disait d'elle son père, il y a quelques années, dans un portrait pour le journal "Libération".
Pourtant Marie quittait rarement ses ex complètement. Elle restait attachée, par les enfants, faisait glisser la relation de l'amour à la fraternité, trouvant à chacun une place dans sa famille. Elle rêvait de Noël où tout le monde serait réuni : ex, enfants, nouvelles compagnes des ex ? Il lui fallait de l'énergie, disait-elle, et aucune mesquinerie pour réussir cela. Mais le volontarisme ne suffit pas toujours. Cet été, au lieu du mois prévu, ses trois plus jeunes enfants ne passent que dix jours à Vilnius aux côtés de leur mère. Difficile de concilier rôle parental et début d'histoire d'amour. Six enfants, cinq autres parents, très vite le couple Bertrand-Marie se trouve confronté à ce que connaissent toutes les familles recomposées: l'organisation. Ces coups de fil à essayer de caler l'arrivée des uns et des autres, les négociations parfois rudes avec les autres parents, toutes ces heures à ne parler que de cela. Autant de piqûres de rappel de leur vie d'avant.

Mort d'un amour

 Ce qu’ils imaginent : photo Aurélien Wiik, Marie Trintignant

Bertrand est très jaloux. Exclusif. Et, dans la vie de Marie, les raisons de le rendre jaloux ne manquent pas. Ses parents, et tous ses anciens hommes qu'elle n'a pas rangés dans le tiroir des souvenirs. Il y a surtout Samuel Benchetrit, qu'elle a quitté pour lui mais qui reste si proche, comme metteur en scène mais aussi comme papa de toute la tribu. Volonté de se dédouaner ou pas, Bertrand explique aujourd'hui que Marie aussi était jalouse de Kristina, qu'elle lui avait demandé de rompre tout contact avec elle. Il le fait. "Je n'ai pas compris quand il m'a annoncé cela, dit la jeune femme. Mais je pense maintenant que c'était une sorte de contrat : il attendait qu'elle fasse la même chose de son côté."
Alors, quand arrive le texto de Samuel Benchetrit se terminant par un mot tendre, Cantat se sent trahi, il pense que Marie se moque de lui. Lui demande des explications. Elle se tait, elle n'aime pas les conflits. Il insiste encore et encore. "C'est un garçon capable de parler des heures, de ruminer des nuits entières quand quelque chose ne va pas. Qui ne lâche jamais l'affaire", dit un de ses amis.
Alors Cantat ne lâche pas Marie. Toute la journée du 26 juillet, et la soirée, il revient à la charge. Ce qui se passe après, personne n'y a assisté, sauf eux. Outre les témoignages de ceux qui ont entendu des bruits de dispute pendant près d'une heure et le rapport d'autopsie, accablant pour le chanteur, les enquêteurs ne disposent que du récit de Bertrand. Une fois rentrés à leur hôtel, dit-il, il pose une dernière fois la question. La fois de trop. Selon lui, Marie est alors excédée, elle explose, se met à crier, lui suggère de retourner chez sa femme. Et le frappe. Un comportement qui, selon les proches de Marie, ne lui ressemble pas du tout. "Elle était incapable de hausser le ton avec ses gamins, certifie Zoé. Elle ne savait pas crier, détestait les disputes."
Cantat poursuit sa version: il est tombé, une douleur du dos se réveille. Il entre dans une rage folle et répond à Marie. Pas avec des mots, pas en quittant la pièce, mais avec des coups. "Il a voulu avoir le dernier mot", a expliqué sobrement François Cluzet au fils qu'il a eu avec Marie. Plusieurs fois (quatre seulement selon lui), il lève le bras pour la frapper. Plusieurs fois, il déverse sur son visage et son buste toute sa force d'homme sportif et baraqué. Une violence hallucinante, que, dans son entourage, personne ne dit lui avoir jamais vue. "Il pouvait être violent en paroles, emporté, excessif. Ça n'est jamais allé plus loin que la bousculade entre nous", répète inlassablement Kristina, soupçonnée par les proches de Marie de vouloir défendre le père de ses enfants en cachant des violences passées. Des engueulades, parfois terribles, oui, mais rien de plus que des assiettes qui volent. Nadine, elle, n'en démord pas : elle est convaincue que d'autres femmes ont été battues avant Marie. A l'heure où nous écrivons ces lignes, les enquêteurs n'ont trouvé aucun témoin ou antécédent de violence ou de bagarre de la part de Cantat.
Mais, cette nuit-là, sa violence a indiscutablement déferlé. Dans le salon de l'appartement, Marie est à terre. Croit-il vraiment qu'elle dort ? Le croit-il ? Il la couche, un linge humide sur le front. Il est terrorisé, effrayé d'avoir cassé son histoire d'amour. Il téléphone longuement à Samuel Benchetrit, en larmes, et fait venir Vincent qui préviendra les secours, à la fin de la nuit. Bien tard. Bien trop tard pour sauver Marie.

 Ce qu’ils imaginent : photo Marie Trintignant

Marie Trintignant commence toute petite au cinéma sous la direction de sa mère, Nadine, dans Mon amour, mon amour. Problème : elle ne voulait pas faire ce métier. Non, Marie voulait être vétérinaire. Mais, finalement, le démon l'a prise elle aussi : "J'avais quinze ou seize ans et c'était décidé : je voulais être actrice ! Mais je me suis bien gardée de le dire, j'avais tellement répété que je ne voulais pas faire ça !". Et c'est le film d'Alain Corneau, Série noire qui lance la jeune comédienne. Elle y interprète la charmante jeune fille qui, malgré son mutisme, fait craquer puis basculer l'univers d'un vendeur sans histoire, incarné par Patrick Dewaere. A l'époque, Marie est très timide et a beaucoup de mal à s'exprimer en public. Du coup, elle décide de se mettre au théâtre et prend des cours. "C'est dur ce métier ! Plus je le fais et plus je l'aime, mais il y a tant de choses à apprendre avant d'être vraiment bien ! Le théâtre, ça m'a aidé aussi, parce que l'apport est plus immédiat. On sent les progrès tout de suite, alors qu'au cinéma on ne réalise les acquis qu'après, au film suivant. Le théâtre remplit, alors que le cinéma vide. Pour moi, ce qui est parfait, c'est de faire les deux en alternance.".

A dix-sept ans, elle tourne La Terrasse d'Ettore Scola en compagnie d'acteurs italiens et de ... Jean-Louis Trintignant. Cette expérience lui permettra d'apprécier le calme régnant sur les plateaux italiens, mais aussi et surtout de rencontrer des gens qu'elle admire : Mastroianni, Gassman, Tognazzi, Stefania Sandrelli...

Par la suite, Nadine, sa mère, lui écrit un personnage différent de ceux qu'elle a interprétés depuis ses débuts. Ainsi, en 1984, dans L'Eté prochain, elle est Sidonie, une jeune femme qui rencontre un homme dont elle tombe follement amoureuse et à qui elle donnera un enfant. Malgré ce bonheur sentimental, Sidonie a un problème : elle est pianiste, mais son trac l'empêche de jouer en public. Et elle doit travailler sur cet handicap. Avec ce personnage, Marie a su prouver qu'elle pouvait être vivante et drôle.

Bien qu'elle ait à plusieurs reprises joué des rôles de jeunes femmes névrosées, elle tente de varier ses rôles grâce à des comédies décalées ou déjantées telles que Cible émouvante et Les démons de Jésus. Elle n'hésite plus à faire le grand écart entre les productions populaires (avec son beau père, Corneau pour Le Cousin, Le Prince du Pacifique...) et le théâtre (avec son père). Son père, son autre soi-même : "Il y a quelque chose d'organique entre nous. Un rythme qui est le même. Nous deux, c'est comme si nos flux sanguins revenaient au même moment..." Il est évident que l'une de nos actrices les plus envoutantes (ah, sa voix! écoutez sa voix dans Corto Maltese!) n'est pas parvenue à trouver de grands rôles de cinéma depuis sa Betty chabrolienne. La voit-on vénéneuse alors qu'elle n'aime que charmer? Elle s'autorise alors à incarner des femmes fortes pour la télévision. Des profils déterminés, émancipés, ultra sensibles. Petit écran pour grands personnages. "Victoire ou la douleur des femmes" est de loin son plus gros succès, son personnage le plus populaire.

Il y aura finalement "Colette", par sa mère Nadine où le désir s'est noircit en plein été. De manière posthume, son ex-compagnon, et cinéaste, Samuel Benchetrit nous la livre pseduo hippie en Janis et John. Et avant qu'on ne l'oublie définitivement, on la voit une dernière fois, dans les calanques, joli sourire chaleureux et amoureux, belle comme un coucher de soleil de marin, grâce au regard de Claire. On retiendra celui-là, car il n'est pas de la famille, il est loin des passions, des déceptions, des trahisons. Puisque désormais Marie est perdue.


Série noire : Photo Alain Corneau, Marie Trintignant, Patrick Dewaere




































Rapatriée en France le 31 juillet 2003 en état de mort cérébrale, suite à un coma profond provoqué par les coups portés par son compagnon Bertrand Cantat au cours d'une dispute, dans la nuit du 26 au 27 juillet 2003 (alors qu'elle tournait le téléfilm Colette, une femme libre à Vilnius en Lituanie), elle meurt le lendemain , 1er août 2003, à Neuilly-sur-Seine. Marie Trintignant a été enterrée au cimetière du Père Lachaise (45e division) le 6 août 2003, par une foule vêtue de clair comme l’avait demandé sa famille, ont rapporté les journaux. Son cercueil a alors été recouvert de tournesols, sa fleur favorite. Le matin, un hommage avait réuni des proches au théâtre Édouard-VII pour des lectures de textes et chansons joués ou appréciés par Marie Trintignant.

Le 13 mai 2007, Bertrand Delanoë, maire de Paris, a inauguré un square en son hommage : le square Marie-Trintignant est situé entre l'hôtel de Sens et la Seine, rue de l'Ave-Maria, dans le 4e arrondissement.


«Je sais que j'ai commis l'irréparable», reconnaît Bernard Cantat dans ce long entretien.

«Je ne suis pas dans le déni de ce qui s'est passé (...) Je n'ai jamais fui ma responsabilité», avoue l'artiste qui sort de son silence alors qu'il vient de terminer son album, sous le nom de Détroit, attendu dans le commerce le 18 novembre. Une sortie maintenue, malgré les derniers éléments sur le suicide de son épouse et mère de ses deux enfants Krisztina Rady en 2010. Jeudi dernier, le parquet de Bordeaux a annoncé son intention d'auditionner prochainement un ancien compagnon de la jeune femme, persuadé que Krisztina Rady aurait été elle aussi victime de violences conjugales de la part de Bertrand Cantat. «Les raccourcis et les accusations délirantes me concernant sont inacceptables», affirme le musicien dans cet entretien réalisé il y a une quinzaine de jours, donc avant la décision des magistrats bordelais. Et d'ajouter «c'est affreux, abject d'être devenu le symbole de la violence contre les femmes, des gens que je ne connais pas existent désormais grâce à ça». Rien en revanche sur le long message laissée à Krisztina Rady à ses parents où elle parlait d' «une situation intenable» avec son compagnon et prétendait «avoir échappé au pire», «à plusieurs reprises».

Pendant ces trois heures d'interview, il parle longuement de sa vie depuis dix ans, comme s'il reprenait l'histoire là où tout le monde l'avait laissée.

La mort de Marie Trintignant. «Je ne pouvais pas croire ce qui était arrivé», explique le chanteur de Noir Désir en revenant sur la soirée du drame. «Je ne me souviens plus dans quel état on était, et pas seulement émotionnellement. (...) Je n'ai rien compris à ce qui s'est passé dans l'action. C'est la pire des culpabilités. Après avoir accompagné Marie à l'hôpital, j'ai été viré et je suis revenu à l'appartement. Pour me flinguer. J'ai préparé mon suicide : en faisant couler un bain, en y préparant des lames de rasoir pour m'y trancher les veines et en prenant des médicaments pour m'abrutir. J'en ai trop pris et je me suis effondré. Je me suis réveillé 48 heures plus tard à l'hôpital, avec la police au pied du lit.»

La vie en prison. Incarcéré à Vilnius, Bertrand Cantat est d'abord isolé des autres détenus. « Je n'avais le droit de parler à personne. Je chantais, je hurlais seul, dans mon sous-sol. C'était une toute petite pièce, avec un vasistas qui laissait à peine passer un peu de lumière du jour, éclairée par un néon de 6 heures du matin à 22 heures et le reste du temps par une grosse ampoule (...) Je ne pouvais pas dormir, j'en étais de toute façon incapable. Alors ils m'abrutissaient de médicaments. (...) J'ai découvert le yoga en prison, dès Vilnius (...) C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour échapper à cette douleur insupportable, permanente (...) J'étais désespéré par la disparition de Marie, par ma responsabilité. En prison, je tiens grâce à l'amour que je reçois de l'extérieur. Sans les enfants, sans cette responsabilité, je me serais suicidé en prison »

Le retour à la musique. En 2004, Bertrand Cantat est transféré à la prison de Muret, près de Toulouse. C'est là qu'il se remet à la musique. «Quand j'ai pu faire entrer ma guitare à Muret, j'ai écrit des bouts de chansons, de poèmes et de textes. Dès que je sentais un peu la paix revenir, j'écrivais. Mais très vite l'extérieur se chargeait de m'anéantir. Alors j'étais cassé pour trois mois. J'ai avancé comme ça, pendant dix ans, en avançant puis en retombant. Tous les efforts déployés par un certain nombre de gens et de médias pour me, et nous, détruire, ont été diablement efficaces, que personne ne croie le contraire, surtout.

 
Janis et John : photo Marie Trintignant, Samuel Benchetrit


La fin de Noir Désir. Dans l'interview accordée aux «Inrockuptibles», Bertrand Cantat évoque le soutien immédiat de ses anciens camarades de Noir Désir, qui le rejoignent immédiatement à Vilnius après le drame. «Ils ont été très importants. (...) C'est aussi le début du cauchemar car ça devient concret, je Sais alors que je n'échapperai pas à la réalité. Leur première question est : "mais qu'est-ce qui s'est passé?" Je suis incapable de répondre. Je ne comprends rien.» Après la libération de Cantat, le groupe envisage d'enregistrer un nouvel album, y travaille mais implose en novembre 2010. «On s'était finalement construits autour de certains tabous, une forme de mensonges, d'omissions. Comme dans toute famille. Mais là, j'ai eu l'impression qu'on n'allait pas crever l'abcès. (...) J'avais besoin de liberté et je me suis rendu compte que Noir Désir était devenu une autre prison, où il fallait demander l'autorisation pour chanter.»

Sa vie aujourd'hui. Elle est à Bordeaux avec ses deux enfants et passe par ce retour à la musique grâce à un nouvel album au côté de Pascal Humbert sous le nom de Détroit, qu'il compte défendre sur scène. «C'est un espace qui m'est plus naturel que la vie. Quand je vois à quel point je suis doué pour la vraie vie, je préfère être sur scène (...) Et puis, je n'ai pas le choix : je dois faire de la musique pour vivre aujourd'hui.»

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